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Parler kreyòl dans les transports en commun de New York *

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Par Hugues Saint-Fort --- J'aime bien prendre le métro de la ville de New York bien que j'habite dans une banlieue de cette immense et fascinante mégapole. Tous ceux qui vivent à New York et dans ses environs savent que, pour un banlieusard, c'est un calvaire d'aller à Manhattan en voiture le matin entre 7h et 9h. Alors, on prend les transports en commun : le bus, le métro, les systèmes régionaux qui desservent la région métropolitaine de New York appelés ici le Long Island Rail Road (LIRR), ou Métro North...Question temps, les transports publics en font gagner beaucoup, mais aux heures de pointe, on perd beaucoup, côté confort.

C'est dans l'un de ces transports en commun que j'ai été témoin l'autre jour d'un de ces incidents qui font réfléchir à la place et à la présence d'Haïti dans la migration internationale. Dans le bus qui m'amenait de chez moi à la prochaine station du LIRR, j'avais repéré une petite place bien confortable (il était encore tôt) pour m'asseoir et lire tranquillement. Ah, lire dans les transports publics! C'est encore un autre avantage que procure l'utilisation des transports en commun quand on est banlieusard et qu'on fait un trajet régulier pour se rendre à son travail. Jamais je n'aurais pu terminer la lecture des dizaines d'ouvrages qu'on m'envoie ou que j'achète si je n'avais pas la possibilité d'utiliser les transports en commun.

Donc, j'étais dans le bus, bien tranquille, lisant mon bouquin, mais de temps en temps je relevais la tête afin de m'orienter pour ne pas dépasser mon arrêt. Plongé dans ma lecture, j'entendis une voix qui venait du fond du bus et qui répétait en anglais : « Ah, ces gens-là, ils n'ont aucun respect, vraiment, aucun respect ! Pourquoi ne parlez-vous pas anglais comme tout le monde au lieu de ce charabia (les mots anglais qu'il avait utilisés étaient « mumbo jumbo ») que personne ne comprend ? C'est vraiment me manquer de respect. Pourquoi n'apprenez-vous pas l'anglais ? »

Le bus était relativement bondé mais je pus assez facilement reconnaitre la personne qui vilipendait ainsi les immigrants haïtiens. C'était un Noir qui devait faire au moins 1,75m dans la petite trentaine, il portait un gros pull à col roulé, un jean délavé et une casquette de baseball des Mets de New York. Il s'adressait à deux femmes. L'une était une dame mesurant peut-être 1,60m dans la soixantaine vraisemblablement, qui portait un gros manteau malgré une température relativement clémente ce jour-là. L'autre était beaucoup plus jeune, au maximum 25 ans, elle devait faire 1,75m très élancée, elle portait aussi un jean délavé. La violence des propos du Noir américain me surprit. Généralement, les Noirs américains de cet âge sympathisent avec les Haïtiens car au lycée ou à la Fac, ils ont compris les règles du jeu et se comportent différemment par rapport à ce qu'ils faisaient aux Haïtiens quand ils étaient dans un collège d'enseignement secondaire, c'est-à-dire le Junior High School, comme on les appelle ici, aux Etats-Unis.

Avant que j'aie pu dire quoi que ce soit, je vis la jeune Haïtienne se lever et, dans le plus pur accent de Brooklyn, mais avec un calme étonnant, elle s'adressa au Noir américain en ces termes : «Ecoutez, vous avez beaucoup à apprendre. Vous ne pouvez pas empêcher un immigrant de parler sa langue maternelle dans un endroit public. Il/elle a le droit de le faire. D'ailleurs, nulle part dans la Constitution américaine, il n'est écrit que l'on doive parler anglais dans un endroit public. L'anglais n'est pas la langue officielle des Etats-Unis et tout immigrant a le droit de parler sa langue maternelle. Il est évident que vous n'avez jamais voyagé hors des Etats-Unis ou que vous n'avez jamais fait l'université où des dizaines de langues étrangères sont parlées tous les jours sur les campus et tout le monde trouve cela tout à fait normal.

Le type était déconcerté. Il ne s'attendait pas à une telle réaction de la part d'une de ces dames qui, il y a encore quelques minutes, s'exprimait dans ce qu'il a qualifié de « charabia ». Maintenant, tout le monde dans le bus les regardait. Il avait perdu la face et devait faire quelque chose. Mais, il sentait qu'il avait affaire à forte partie. Finalement, il prit son courage à deux mains et dit à la jeune haïtiano-américaine : « Je ne voulais pas vous offenser mais je croyais que vous parliez de moi. Je ne comprenais pas ce que vous disiez. »

Mais, répondit la jeune femme, pourquoi aurait-on parlé de vous alors qu'on ne vous connait même pas ? Cette dame n'est à New York que depuis quelques semaines et ne connait pas du tout l'anglais. En fait, elle rentre en Haïti dans trois semaines. »

Je ne sus jamais la suite de l'histoire car j'ai du descendre du bus pour aller prendre le LIRR, direction Penn Station. Dommage !

*Cet article a été publié pour la première fois dans Haïti Monde, journal gratuit pour les étudiants en Haïti et par abonnement pour la diaspora, numéro 1, page 14, novembre 2013. Haïti Monde est conçu et réalisé à Paris. Le directeur de publication de Haïti Monde est M. Fritz Calixte, docteur en philosophie (Paris 1, Sorbonne).

Hugues Saint-Fort
Photo Coutoisie: Bronx Bureau

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