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Le pire ennemi de Martelly c’était Martelly lui-même

martelly dos nuDe ses promesses pharaoniques de campagne, les unes plus farfelues que les autres, on retiendra très peu de réalisations structurelles concrètes. Les cinq «E» du président Martelly se sont finalement révélés muets. Le projet-phare de son programme d’éducation, le Psugo, n’a nullement aidé à résoudre le problème crucial d’accès des masses à une éducation de qualité.

 Au contraire, il laissera un lourd héritage, difficile à gérer par les gouvernements futurs. Puisqu’il sera quasiment impossible d’arrêter le programme pour les actuels bénéficiaires, de peur de laisser des enfants défavorisés en dehors de l’environnement scolaire. Il a déjà coûté plus de 7 milliards de gourdes au Trésor public, alors que l’on sait qu’il ne résoudra pas le problème d’insuffisance de l’offre scolaire publique de qualité.

 Ironie du sort, en poursuivant la logique de subvention de la scolarité de ces élèves, l’État n’aura pas les moyens d’investir dans la construction d’écoles publiques, leur administration et la formation des maîtres. Il ne pourra donc pas envisager une vraie politique publique d’accès à l’éducation. Voilà un exemple classique d’allocation inefficace de ressources publiques et de mauvais choix politiques. Des choix qui ont conduit le régime Martelly à endetter largement le pays : plus de 1,72 milliard de dollars américains de dettes, à peu près le montant du budget annuel de l’État, sans résoudre des problèmes spécifiques.

 Plus rien de structurel à noter dans la gestion de l’environnement. Sur l’emploi, on est très loin des 400 000 emplois rêvés par le président Martelly depuis sa deuxième année au pouvoir. On ne compte pas de politique énergétique précise pendant que le gâchis institutionnel et électoral démontre éloquemment l’échec des efforts entrepris dans le cadre de l’émergence d’un État de droit.

 Autant dire que le passage du président Martelly au pouvoir a rendu plus improbable le décollage économique national à moyen terme alors qu’il promettait le décollage économique immédiat.

 Quelles sont les causes de cet échec ?

D’abord, il y a eu une mauvaise approche de l’exercice du pouvoir. La science a été reléguée au second plan pour faire place à l’improvisation et à la satisfaction de l’ego surdimensionné du chef. L’apparence a primé l’essence. Des affiches géantes ont été érigées un peu partout. Les ministres devaient exhiber leurs bracelets roses, symbole d’allégeance servile au président. Ce n’était pas vraiment leur conviction profonde puisqu’ils s’en détachaient une fois démis de leurs fonctions. Il faut chercher ardemment afin de trouver aujourd’hui des gens qui portent encore leurs fameux bracelets.

 Le chef de l’État dictait quasiment tout. Même dans des secteurs très spécialisés comme l’éducation. Comme s’il suffisait de subventionner la scolarisation d’enfants défavorisés pour résoudre l’épineux problème d’accès à l’éducation de qualité. Comme s’il n‘existait pas de vrais experts locaux en la matière. Même si certains de ces derniers, pour défendre leurs intérêts particuliers, avaient préféré se taire pour laisser passer la vague Martelly. D’autres ont exécuté poliment les ordres du chef, sans oser dire le mot de leur science, et ce même s’ils ne croyaient pas aux politiques envisagées.

 La majeure partie des autres secteurs vitaux a adopté la même posture de passivité. Le secteur privé des affaires ne s’est jamais prononcé ouvertement sur la dégradation de l’économie nationale sous l’ère Martelly. Les religions ont toujours essayé de sauver les meubles du régime sans aborder les vrais problèmes de gouvernance. Quant à la communauté internationale, elle supportait toutes les dérives du chanteur-président, y compris la non-réalisation des élections.

 Le président Martelly, qui n’a jamais caché son penchant pour l’armée, n’a sélectionné que des soldats dociles pour l’accompagner au cours de son quinquennat. Il inventait ses propres statistiques que les ministres, conseillers et porte-paroles devaient s’atteler à justifier, au péril de leur réputation académique. Des professionnels compétents qui font preuve d’un minimum de caractère ont été relégués au second plan ou tout simplement écartés de la sphère décisionnelle. Pour la plupart, dès le début.

 On peut citer les cas de Me Gervais Charles que l’on voyait déjà à la tête du ministère de la Justice au sein du premier gouvernement de l’ère Martelly. Tout au moins, il serait l’un de ses plus proches conseillers juridiques. L’ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats de Port-au-Prince défendait le candidat Martelly sur tous les fronts durant la période de campagne. Étonnement, on l’a plutôt retrouvé, assez tôt, parmi les belles têtes de l’opposition hostile au président Martelly avant de devenir avocat du parti Fanmi Lavalas de l’ancien président Jean-Bertrand Aristide, farouche opposant idéologique au régime Martelly.

On voyait Daniel Supplice piloter le ministère des Affaires étrangères. On reconnaît en l’homme une certaine indépendance d’esprit, une compétence et une expérience éprouvée de l’exercice du pouvoir politique. Bien que son passage comme ambassadeur d’Haïti en République dominicaine n’ait pas convaincu grand monde, il est connu comme quelqu’un qui pouvait exprimer un argument ou un point de vue contraire au chef de l’État. Les yeux dans les yeux.

 Le jour de l’investiture du premier cabinet ministériel dont M. Supplice a été éjecté à la dernière seconde, nous raconte le Dr Rony Gilot (1), il aurait été dire les quatre vérités au président. C’est alors qu’il a été repêché au ministère des Haïtiens vivant à l’étranger, contrairement à Georges Mérisier que l’on présentait à la tête du ministère de l’Éducation nationale mais dont le nom a été rayé de l’arrêté présidentiel sans explication aucune. Il prenait déjà place dans l’autobus qui devait conduire les ministres au Parlement pour la séance de ratification.

 M. Mérisier n’a pas la réputation d’un «béni oui oui », le genre de profil qui plait aux chefs traditionnels haïtiens. Il connaît assez bien le système éducatif haïtien et pourrait bien aider à le réformer et à bien orienter le Psugo dès le départ.

À la place de Daniel Supplice, le ministère des Affaires étrangères a été attribué à M. Laurent Lamothe, sans expérience politique aucune. Ce dernier n’avait pas non plus d’expérience de gestion de l’administration publique à son actif. Son meilleur atout était sa proximité avec le chef de l’État et le fait d’avoir financé sa campagne électorale.

On attendait le Dr Michelle Oriol à la tête du ministère de l’Intérieur et des Collectivités territoriales. Pour avoir travaillé sur les collectivités territoriales, on aurait bien voulu avoir ses réactions sur l’augmentation injustifiée du nombre de communes durant le mandat du président Martelly.

On ne peut pas faire une analyse contrefactuelle puisque personne ne peut déduire les résultats qu’auraient donnés ces personnalités. D’ailleurs, il existe plein de surprises et de mauvaises expériences dans l’histoire politique haïtienne où les gens réputés compétents et de bonne réputation ont piteusement déçu. Le régime Martelly regorge d’exemples.

Certains pensent que l’appui des personnalités ci-dessus mentionnées à un candidat comme Michel Martelly devrait plutôt être mis à leur passif. Ils considèrent qu’ils ont leur part de responsabilité dans l’échec collectif orchestré par le régime Martelly puisqu’ils accordaient une caution morale et intellectuelle au candidat, ce qui avait conforté la grande foule. Ils avaient donné une certaine crédibilité à la candidature de Martelly à la magistrature suprême de l’État.

 On peut quand même croire que le profil de ces gens qui ont été écartés pourrait permettre au régime Martelly de donner de meilleurs résultats. Il faudrait mieux comprendre pourquoi ces personnalités ont été mises à l’écart par le président Martelly dès le début.

 Un entourage trop soumis

 Outre le mauvais choix ou le mauvais tri de ses conseillers, le président Martelly et son entourage ne semblaient pas supporter des gens indépendants (même autonomes) dotés de grande compétence. L’éviction du Premier ministre Garry Conille en est un exemple. On imagine le Dr Conille passer plus de deux ans à tête de la Primature en train de diriger un gouvernement formé de ministres compétents, dévoués et expérimentés. Les projets publics auraient probablement été moins démagogiques et plus cohérents.

Il a été brutalement lâché par le chef pour des motifs inavoués et inavouables. Les ministres qu’il était censé diriger ont fait allégeance au président. Et au bout du compte, il ne pouvait rien gouverner, malgré ses compétences, ses expériences nationales et internationales.

Ainsi le président Martelly s’est-il débarrassé de la méthode qui avait fait son succès musical : s’entourer de gens compétents et expérimentés.

Qui pis est, devenu président, il a amplifié ses défauts de la scène en déclenchant des polémiques stériles contre tous ceux qui osent témoigner des divergences de vue et d’idées avec lui. Il vantait à cor et à cri ses prouesses politiques qui lui permettaient d’accéder au sommet de l’État là où les plus grands intellectuels du pays ont échoué. Il a royalement ignoré le fait qu’il avait été imposé par les puissances étrangères.

 Le président Martelly a alors tiré une très mauvaise leçon de son succès à l' élection présidentielle de 2010. Il en conclut que les diplômes universitaires ne servent à rien. Il l’a fait savoir haut et fort. Avec une arrogance, doublée d’une ignorance, à couper le souple. Il a donc occulté un fait important: on peut devenir président de la République sans diplôme mais on ne peut pas donner des résultats concrets dans aucun domaine sans le concours de gens diplômés, forts de caractère, compétents, intègres, honnêtes et expérimentés.

On prendra longtemps pour oublier les porte-paroles de la présidence qui proclamaient « Eleksyon tèt dwat » la veille de l’annulation du scrutin par le président du Conseil électoral provisoire. Ils ont eu l’audace de continuer à parler tout de suite après l’annulation du processus électoral.

Ces gens-là ont gardé leur poste durant tout le mandat du président Martelly, contrairement à ceux qui tentaient de ramener le président à la raison afin de gérer le pays en bon père de famille. Le président a chassé des gens qui pouvaient l’aider à bien réussir son mandat. Il affrontait même les intellectuels neutres qui lui prodiguaient des critiques constructives et des conseils judicieux. Parallèlement, il se défendait bec et ongles et s’entourait jusqu’au bout d'amis très peu catholiques.

Un ancien haut dignitaire de l’administration Martelly/Lamothe m’avait confié que quiconque osait exprimer un point de vue discordant à ces chefs était traité de personne travaillant pour le compte de l’opposition. Des ministres et secrétaires d’État auraient même été révoqués rien que pour cela.

Un sénateur proche du président Martelly déclarait que la ministre de l’Économie et des Finances, Marie-Carmelle Jean-Marie, travaillait pour l’opposition parce qu’elle avait osé, écrivait-elle, « exiger de la rigueur et de l’abnégation dans la gestion des deniers publics ». Cet «honorable» sénateur affirmait ne pas comprendre la tolérance du président Martelly qui allait jusqu’à choisir un membre de l’opposition comme ministre des Finances. Voilà le genre de conseillers qui plaisent aux chefs en Haïti.

 Les journalistes indépendants comme conseillers ?

Il n’y a pas que le président Martelly à épouser ce comportement hostile envers les intellectuels indépendants. Certains ministres influents de son régime n’embauchaient également que des lieutenants dociles et fidèles. Ils ne toléraient aucune voix discordante au sein de leur cabinet.

La dictature des Duvalier avait rudement combattu tous les compatriotes qui avaient une vision politique différente. L’écrivain de renommée internationale Jacques Stephen Alexis qui a été englouti par le régime sanguinaire est un exemple éloquent. Avec un minimum de dépassement de soi, avec la collaboration de tous, Haïti serait absolument plus développée aujourd’hui. Cette méthode de gouvernance a grandement facilité la descente aux enfers du pays.

 Malheureusement, le président Martelly n’a pas su s’élever à la dimension d’un vrai chef d’État comme en témoigne son carnaval 2016 honteux, dénigrant les journalistes Jean-Monard Météllus et Liliane Pierre-Paul. Un président de la République d’un pays en profonde crise économique, sociale et politique, avec plus de 62.25 gourdes pour un dollar américain, qui passe son temps à dénigrer des citoyens qui ne font qu’exprimer leur opinion sur la gestion de la cité témoigne bien d’un malaise mental plus profond.

D’autant plus que ces opinions pouvaient bien aider le président à rectifier le tir. Ces deux journalistes étaient contre l’arrestation d’un député en fonction, contre la gestion laxiste des deniers publics, contre la propagande mensongère sur le bilan du régime, particulièrement le programme Psugo, contre des voyages intempestifs du président, accompagné de délégations pléthoriques, contre les élections frauduleuses, etc. Ils jouaient tout simplement le rôle de conseillers indépendants en prenant soin d’argumenter leur point de vue.

Par son attitude hautaine et méprisante, le président Martelly a lui même engendré ses opposants les plus farouches : Jean-Charles Moïse, Michel André, Newton Saint-Juste, Antonio Cheramy, pour ne citer que ces quatre. Et finalement, le pire ennemi du président Martelly c’était Martelly lui-même.

Thomas Lalime
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Source: LeNouvelliste

 (1) : Dr Rony Gilot. Au gré de la mémoire : Garry Conille ou le passage d'un météore.