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Des deux côtés de Petrocaribe, le mal d’Haïti est infini

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On a longtemps présenté PetroCaribe comme une chance pour le développement des pays les plus pauvres de la Caraïbe. En effet, la facture en lien avec la fourniture énergétique, qui a longtemps grevé lourdement le fonctionnement de leurs économies, représentait souvent entre 7 et 20 % de leur PIB dans les périodes récentes où le cours du pétrole se situait au-dessus de 80 dollars le baril, c’est-à-dire entre août 2013 et le milieu de l’année 2014. Dans le cas d’Haïti, on sait que cette facture correspondait à la quasi-totalité de la valeur de ses exportations pour l’année 2014. Au cours des dix-huit derniers mois, la donne a complètement changé, les cours de l’or noir ayant plongé de 75%, passant de 120 à 30 dollars actuellement. Ce qui est de nature à soulager ces États alors que trinquent de nombreux pays producteurs dont le Venezuela qui avait mis en œuvre le programme PetroCaribe. Cependant, pour ce qui concerne notre pays, qui fait face à une dépréciation accélérée de sa monnaie, la situation actuelle de baisse très forte des cours du pétrole n’arrange pas les choses. La tendance est double : payer chaque fois plus cher en monnaie nationale ses importations de pétrole même quand baisse le prix du baril, d’une part, et, d’autre part, débourser périodiquement une quantité plus importante de gourdes pour le règlement de sa dette envers le Venezuela sur une période qui va s’étendre au moins jusqu’à 2042.

La donne du programme Petrocaribe

Le système institué était un système à deux vitesses de paiement en fonction des cours du baril : une partie cash et une autre partie remboursable sur vingt-cinq années.

Les modalités de paiement définies au titre du programme PetroCaribe sont au nombre de six :

1) si le prix du baril est supérieur ou égal à 150 dollars, les pays bénéficiaires paient seulement 30 % en cash en bénéficiant de 70 % de crédit;

2) si le baril évolue dans la fourchette de 100 à 150 dollars, ces pays doivent honorer 40 % en cash contre 60 % de crédit;

3) si le baril oscille dans l’intervalle de 80 à 100 dollars, ces pays devront décaisser 60 % et plus tard 40 %;

4) pour un baril se retrouvant dans l’intervalle de 50 à 80 dollars, ces pays décaisseront dans l’immédiat 60 % et à long terme 40%;

5) pour un baril se vendant entre 40 et 50 dollars américains, les pays bénéficiaires sont obligés de payer 70 % en cash et les 30 % au titre de crédit.

6) enfin, quand le pétrole se vend à moins de 40 dollars le baril, les pays se retrouveront dans l’obligation de payer immédiatement leur facture pétrolière.

La part remboursable du programme PetroCaribe a été réduite au cours de l’année 2015 à une peau de chagrin pour devenir pratiquement inexistante au fil des temps, le fonctionnement du système ne présentant presque plus d’intérêt pour le Venezuela ni pour les 17 pays bénéficiaires puisque le prix du baril se situe depuis dans la sixième tranche du programme. Les conséquences de la baisse du baril depuis l’année 2015 À la faveur de la nouvelle donne, depuis l’année 2015, le montant de la facture pétrolière connaît désormais une embellie passant de 872, 6 millions de dollars en 2014 vraisemblablement à moins de 500 millions de dollars en 2015, d’après Kesner Pharel. De même, la dette du pays s’est presque stabilisée en dollars même s’il faut tenir compte du taux d’intérêt en vigueur.

Parallèlement, la chute de prix entamée en 2014 sur le marché mondial avait poussé les autorités budgétaires locales à modifier le financement de PetroCaribe de plus de 20 milliards à quelque 10 milliards de gourdes dans le budget national de 2014-15.

Pour le budget de l’exercice fiscal 2015-16, le gouvernement avait tablé sur un montant de près de 7 milliards de gourdes à partir du financement de PetroCaribe, mais cela ne pourra être concrétisé avec un baril de pétrole brut inférieur à 40 dollars américains depuis août 2015 et à moins de 30 dollars depuis la deuxième semaine de janvier 2016 . Le trou budgétaire dû aux nouveau prix affectera sans doute les investissements publics et, par voie de conséquence, la croissance du produit intérieur brut de l’économie haïtienne. Le taux de croissance du PIB de 3,6 pour cent (2015-2016) qui a été prévu ne pourra point être atteint et risque de se situer à moins de 2%, voire plus bas.

Entre investissements publics massifs et endettement du pays

Grâce au programme PetroCaribe, Haïti a pu profiter en théorie entre 2011 et 2014 d’une manne de 320 millions de dollars américains par an pour financer 234 projets d’investissement public dans divers domaines (transports, logements sociaux, sports notamment) ainsi que des investissements sociaux comme l’assistance aux populations lors des catastrophes naturelles, le programme Ede pèp, Kore etidyan, Katye pa m' poze, Kore peyizan, Timanman cheri, Resto pèp, Panye solidarite, Aba grangou », Ban m' limyè ban m' lavi, Kantin mobil, etc.

Plus d’un, de Steven Benoît à Thomas Lalime en passant par Kesner Pharel et Leslie Péan, a critiqué à plusieurs reprises l’utilisation de ces fonds pour financer des programmes sociaux dont l’exécution ne saurait contribuer aucunement au remboursement de la dette d’Haïti envers PetroCaribe.

D’après le Bureau de monétisation de l’aide publique au développement, la dette effective d'Haïti envers le programme PetroCaribe au 30 novembre 2015 s’élevait à 1,750 milliard de dollars, soit près de 100 milliards de gourdes au taux de 56 gourdes pour un dollar, il y a deux mois et à 105 milliards de gourdes en janvier 2016.

Une dette à rembourser en 25 ans, c’est-à-dire au moins jusqu’en 2042, à raison de 50 à 70 millions de dollars par an ou 4 milliards de gourdes annuellement au taux de fin novembre 2015. Chaque Haïtien, chômeur ou travailleur, riche ou pauvre devra payer chaque année six dollars au Venezuela jusqu’à 2042. La dette d’Haïti envers PetroCaribe a augmenté considérablement au cours des six dernières années, grimpant de 462 millions de dollars en 2010-11 à 1 750 millions de dollars en 2014-15, soit un accroissement absolu de 1 298 millions de dollars ou un acroissement relatif de 282%. Ce qui se comprend bien quand on évoque les cours élevés du brut pendant la période. D’après les calculs de Leslie Péan, cette dette ne fait qu’augmenter par rapport à nos exportations: 50% de celles-ci en 2011, soit 887 millions de dollars US, et 108% en 2014, soit 2 158 millions de dollars US. En même temps, notre dette envers le Venezuela, qui avait effacé 395 millions de dollars au titre de la solidarité du gouvernement de Chavez envers le peuple haïtien après le séisme du 12 janvier, constituait 73,9% de la dette totale d’Haïti en l’année 2013-14, d’après les chiffres fournis par Leslie Péan, soit 1 595 millions de dollars sur un total de 2 158 millions. Il n’est pas imposible que cette dette se situe actuellement en valeur relative aux environs de 80% de l’ensemble de la dette du pays.

Il faut aussi ajouter que le ratio de la dette internationale par rapport aux réserves liquides internationales d’Haïti est passé de 48% en 2010 à 93% en 2014, et doit se situer probablement bien au-delà de 100% actuellement en raison notamment de la diminution des réserves de la Banque centrale de la République d’Haïti qui a dû plusieurs fois injecter des dizaines de millions de dollars pour soutenir la monnaie nationale.

Le casse-tête du remboursement de la dette pétrolière d’Haïti Il a été évoqué, à un certain moment en 2013, s’il faut en croire le ministre de l’Agriculture d’alors, Monsieur Jacques Thomas, la possibilité pour le gouvernement haïtien de rembourser la dette pétrolière d’Haïti envers le Venezuela, grand demandeur de produits alimentaires. Il avait prétendu avoir identifié une liste de six produits qui pourraient être utilisés à cette fin. Mais ce n’était que du pipeau pour ceux qui connaissent le faible niveau d’autosuffisance alimentaire du pays dont les importations de denrées de consommation suivent une courbe ascendante depuis plus de 30 ans.

Les remboursements par la Direction du Trésor de la dette d’Haïti au Venezuela qui ne pouvaient être effectués que sous forme monétaire ont commencé en février 2013 et se poursuivent régulièrement. Ils avaient atteint 60,5 millions de dollars au 31 octobre 2015, soit environ 3,26 milliards de gourdes au taux de notre monnaie d’il y a trois mois. Le remboursement de la dette au titre du programme PetroCaribe ne cesse d’augmenter en monnaie nationale. Les 60,5 millions de dollars qui correspondaient en février 2013 à 2,59 milliards de gourdes s’élevaient en novembre 2015 à 3,3 milliards de gourdes pour se convertir en janvier 2016 à 3,63 milliards de gourdes.

Conclusion

En moins de deux années, la situation en termes d’approvisionnement énergétique d’Haïti et de possibilités d’investissements publics a changé du tout au tout. La période d’avant 2015 a certes vu un certain nombre d’investissements nécessaires dans le cadre de la reconstruction et du développement.

Il est dommage que ces investissements n’aient pas été conçus de manière rationnelle et réfléchie pour changer les conditions de vie de la population. Ainsi, les 1 750 millions de dollars de dettes (ou 105 milliards de gourdes au taux de janvier 2016) et les 395 millions de dollars qui ont été annulés en 2010 par Chavez pourraient être utilisés avantageusement pour tenter de résoudre les problèmes chroniques de déficit en infrastructures, notamment en électricité, en eau, en transports et en assainissement du pays.

Depuis la fin de l’année 2014, avec l’inversion des cours du pétrole, le baril se vendant à moins de 40 dollars depuis fin août 2015 et autour de 30 dollars depuis la troisième semaine de janvier 2016, la possibilité de réaliser des investissements publics en Haïti tend vers zéro même si, dans le budget officiel, on annonce un certain montant à cet effet. On sait que parallèlement le pays fait face à une réduction significative de l’aide internationale qui a été revue à la baisse cinq ans après le séisme du 12 janvier 2016.

Plus aucun financement au titre de PetroCaribe ne pourra être réalisé tant que les cours du pétrole ne franchiront pas de nouveau la barre de 50 dollars. En tout état de cause, le programme PetroCaribe s’est révélé pour Haïti comme un cadeau empoisonné parce qu’il est difficile d’imaginer, dans le contexte de son appauvrissement accéléré et de dépréciation de sa monnaie, que le pays pourra venir à bout de son endettement sur la période de 25 ans de remboursement.

Le dilemme que nous avons posé dès le départ reste entier : Des deux côtés de PetroCaribe, le mal d’Haïti apparaît comme infini

Jean SAINT-VIL,
géographe
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Source : LeNouvelliste