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La sombre histoire d’une Haïti "ouverte aux affaires"

Par Ayiti kale je

Les mines d’or planifiées dans le nord d’Haïti sont l’aboutissement de siècles d’extraction des ressources minérales, naturelles et agricoles du pays, par des investissements étrangers.  

christophe-colomb1492 : À sa première visite, Christophe Colomb écrit dans ses carnets de voyage que le peuple de ce qui allait devenir Hispaniola—l’île englobant aujourd’hui Haïti et la République Dominicaine—a offert aux navigateurs de l’or « avec une telle générosité de cœur et une telle joie que c’était magnifique ». Tous les commentaires parlent de « grandes pépites d’or » et de « pépites grandes comme la main. » Au cours des années suivantes, des centaines de milliers, sinon des millions d’autochtones meurent dans les mines d’or, ou de maladies importées d’Espagne. Une décennie après la découverte de Christophe Colomb, la couronne d’Espagne était déjà en train de prélever son « cinquième » (20 pour cent) de tout l’or des Caraïbes, puis, recueille 8000 ducats d’or (environ 25,061 kg) en 1503 et 120 000 ducats (376.254 kg) en 1518.



1697-1804 : Le labeur d’environ 800 000 esclaves d’Afrique vaut à la colonie française le surnom de « Perle des Antilles » grâce à l’immense richesse produite pour la couronne française et grâce au sucre, au café et à l’indigo exportés par des investisseurs français. Selon certains chercheurs, en 1789, la colonie exporte la moitié de la production mondiale de café et représente environ 40 pour cent du commerce extérieur de la France.

1857 : Le capitaine américain Peter Duncan proclame l’île de La Navase, à l’ouest d’Haïti, territoire américain, en vertu du Guano Islands Act de 1856, qui autorise tout citoyen américain à « prendre possession… d'une île ou d’un rocher » contenant des gisements de guano « si elle est inoccupée ou qu'elle n’est pas soumise à la juridiction d'un autre gouvernement. » À l’époque, le guano, ou fiente d’oiseau, est un engrais très recherché.

            La Navase fait partie d’Haïti, mais peu importe. Les États-Unis réclament l’île et érigent une ville-entreprise pour extraire la fiente. Aujourd’hui, si la compagnie a fermé, La Navase, considérée par Washington comme un territoire américain, est toujours revendiquée par Haïti, qui en fait état dans sa constitution de 1987.

1910 : La Hayti Mines Company, sise à New York, achète la Compagnie Minière de Terre-Neuve. Pendant une période de dix ans, la compagnie exporte 436 tonnes de cuivre. Aucune autre information n’est disponible.

1911 : L’entrepreneur James MacDonald est financé par la WR Grace, ce qui lui permet de prendre le contrôle de la compagnie ferroviaire nationale d’Haïti. En échange de l’éventuelle construction d’un chemin de fer jusqu’à la ville du Cap-Haïtien, il obtient pendant 50 ans la concession des 2 km de terres bordant de part et d’autre les 320 km du futur chemin de fer, pour des plantations de bananes, et le monopole de l’exportation de cette denrée. La compagnie MacDonald émet pour 35 millions de dollars us d’obligations, garanties à 60 pour cent par le gouvernement haïtien. MacDonald échoue et prend la fuite. Pendant l’occupation américaine, le gouvernement haïtien est forcé de rembourser plus de 4 millions de dollars aux investisseurs.

1915-1934 : Les États-unis occupent Haïti. En 1913, le Président Woodrow Wilson explique que « Notre responsabilité envers le peuple américain nous force à aider les investisseurs américains en Haïti ». En 1914, les Marines américains s’emparent des réserves d’or d’Haïti, et en quelques mois entament la plus longue occupation américaine à ce jour. De 1917 à 1927, un territoire de plus de 1000 kilomètres carrés est cédé aux compagnies américaines, et après 1928, 1000 autres kilomètres carrés sont vendus à des compagnies américaines, grâce à une loi passée par un gouvernement fantoche permettant aux étrangers d’acheter des terres. Des dizaines de milliers de familles paysannes sont expropriées de leurs terres pour faire place aux plantations d’ananas, de bananes et de sisal. Ces plantations appartiennent à des firmes connues comme United Fruit et Standard Fuit, ainsi qu’à de nouvelles compagnies comme Haitian Products Co., Haitian American Co. Et la plupart des investissements finissent en faillite.

            Pendant cette période, on assiste également à une migration massive de travailleurs haïtiens, légale ou non, vers Cuba et la République dominicaine, en quête de travail. On ne connaît pas le nombre exact, mais de 1915 à 1930, de 5000 à 20 000 Haïtiens, surtout des travailleurs, émigrent légalement chaque année à Cuba.

1935 : La Standard Fruit et la Steamship Company signent une entente de 10 ans, renouvelée pour cinq autres années. Ainsi, la firme de Nouvelle-Orléans obtient le monopole sur toute exportation de banane pendant dix ans, et sur la plupart des exportations entre 1945 et 1950. En 1945, dans la seule vallée de l’Artibonite, la compagnie contrôle directement un territoire de 3900 hectares et achète en plus les bananes des petits paysans provenant d’un territoire de 5000 hectares. Les agriculteurs qui refusent de produire de la banane sont souvent victimes de répression et voient leurs champs brûlés.  En 1945, la banane se classe parmi les principales exportations du pays, mais la corruption des fonctionnaires, entre autres, la plongent dans un déclin graduel.

paysan-orpaillent1941 : On établit la SHADA, ou Société haïtiano-américaine de développement agricole, pour approvisionner le gouvernement américain en caoutchouc et en sisal (pour la corde) dans le cadre de l‘effort de guerre déployé pendant la 2e Guerre mondiale.

            La société se voit accorder un prêt de 5 million de dollars us par la banque américaine d’import-export (EXIM) et une concession de près de 60 000 hectares de terre agricole et de pinèdes, pour la coupe et la culture du caoutchouc et du cryptostegia, un arbuste à caoutchouc. La SHADA obtient également un territoire de plus de 130 000 hectares dans le nord et le nord-est, qu’elle coupe à blanc pour planter du sisal. Les paysans chassés de leurs terres reçoivent une maigre pitance – de 5 $ à 25 $ par carreau (3,19 acres) – en compensation. On coupe alors un million d’arbres fruitiers dans le sud-ouest d’Haïti (Grand’Anse). En une seule année, en 1943, plus de 30 000 familles sont expulsées de leurs terres.

            Le projet caoutchouc ferme en 1945 avec un déficit de 6,8 millions de dollars. D’autres projets de la SHADA perdent plus de 2 millions de dollars la même année. La SHADA est considérée comme le pire fiasco en « développement » de l’histoire d’Haïti.

1944 : La Reynolds Haitian Mines Inc. obtient le monopole exclusif de la bauxite et la concession de l’exploitation d’une mine près de Miragoâne. En l’espace d’environ 40 ans, 13,3 millions de tonnes de bauxite partent vers Corpus Christi, au Texas. La bauxite haïtienne représente près du cinquième de toute la bauxite acquise par la Reynolds de 1959 à 1982. La Reynolds a accès à 150 000 hectares de terres. Des milliers de familles sont expropriées. Le gouvernement haïtien empoche d’abord 90 cents us, puis 1,29  dollar us par tonne métrique. Quand Haïti forme, avec d’autres pays, l’International Bauxite Association (IBA), en 1974, les redevances montent une fois de plus, mais au bout de six ans, la Reynolds se retire après avoir extrait une grande partie de la bauxite, à la recherche de pays moins gourmands en redevances. Durant ses 4 décennies en Haïti, la Reynolds n’a construit que 13 kilomètres de route et embauché qu’environ 300 personnes.

1955 : La Société d’exploitation et de développement économique et naturel (SEDREN), filière de la canadienne Consolidated Halliwell, obtient un droit d'exploitation du cuivre dans la région de Mémé (Terre-Neuve/Gonaïves). Pendant 12 ans (1960-1972), la SEDREN exporte 1,5 millions de tonnes de cuivre, évaluées à environ 83,5 millions de dollars. Le gouvernement en a reçu environ 3 millions de dollars US. À son apogée (en 1971), l’industrie minière (Reynolds et SEDREN) totalise à peine 889 employés, rémunérés au salaire minimum, soit moins de 70 cents us par jour. Tout le personnel qualifié provient de l’étranger.

            L’économiste Fred Doura qualifie l’économie haïtienne d’« extraversion dépendante », ponctuée d’enclaves. À propos des mines, il écrit : « L’industrie extractive en Haïti a été l’exemple type d’une industrie ‘enclavée’ soumise à la domination étrangère où deux transnationales nord-américaines ont exploité principalement les minerais de bauxite et de cuivre… l’impact était quasiment nul sur l’économie. » [Économie d’Haïti – dépendance, crise et développement (2001)]

            Alex Dupuy, sociologue et historien, abonde dans le même sens. Ce professeur de la Wesleyan University explique à Ayiti Kale Je dans une entrevue téléphonique, en février 2012 : « Historiquement, les investissement étrangers n’ont eu aucun impact positif sur la population haïtienne en général… D’habitude, quelques membres de l’élite haïtienne bénéficient, l’État prend sa part et tous les profits vont à la compagnie. »

            « Les paysans ont de bonnes raisons de se méfier de toute proposition d’investissement étranger en Haïti, car ils savent très bien comment ces projets se sont soldés par le passé, » ajoute le professeur, auteur de « Haiti in the World Economy – Class, Race and Underdevelopment (Haïti dans l’économie mondiale : classes, races et sous-développement) ». « Ils viennent investir ici pour leur bien et non pour le pays ni pour les paysans. Ils s’approprient les terres des paysans et leur volent leur unique gagne-pain. Alors, pourquoi les paysans leur feraient-ils confiance, à eux, au gouvernement central de Port-au-Prince, ou à quiconque? »

Rendu possible en partie grâce à une bourse de Pulitzer Center on Crisis Reporting.

Ayiti Kale Je – http://www.ayitikaleje.org – est un partenariat établi entre AlterPresse, la Société pour l’Animation de la Communication Sociale (SAKS), le Réseau des Femmes Animatrices des Radios Communautaires Haïtiennes (REFRAKA) et les radios communautaires de l’Association des Médias Communautaires Haïtiens (AMEKA) et les étudiants du Laboratoire de Journalisme de la Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'Etat d’Haïti.

Source: Haiti-Iiberte