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Investissements directs étrangers : la difficile équation haïtienne


junia-barreau"Ne ratons pas cette opportunité de construire, sur cet immense malheur, une société plus juste où chacun aura sa place". Anthony Phelps

Depuis environ un an, la République d’Haïti entend prendre le virage vers un modèle de développement économique qui s’appuierait essentiellement sur les investissements directs étrangers. Dans sa quête acharnée de nouveaux capitaux étrangers, Haïti se heurte pourtant à un obstacle de taille : une perception négative du pays aux yeux de la plupart des investisseurs étrangers. « La perception d’Haïti sur la scène internationale serait un handicap majeur à sa nouvelle politique économique consistant à séduire et à conquérir les investisseurs étrangers » selon la surprenante ‘’découverte’’ de l’ancien directeur général du Centre de facilitation des investissements en Haïti, rapportée par l’hebdomadaire haïtien Le Matin[i] dans son édition du 20 juillet 2012. Or cette réalité n’est pas une découverte en soi puisqu’elle est bien connue du secteur privé haïtien ainsi que de tous ceux qui, à un moment ou à un autre, ont eu à travailler à l’étranger au profit d’Haïti ces trente dernières années. Beaucoup d’investisseurs qui incluaient Haïti dans leur « liste de pays d’intérêt » l’ont enlevée au cours des dix dernières années, vaincus par la lassitude d’attendre « le bon moment » pour enfin démarrer leurs projets d’affaires en Haïti.

Dans le monde des affaires à l’échelle internationale, qu’est-ce qui se cache sous cette perception négative d’Haïti chez les investisseurs potentiels ?   Cette perception négative du pays est-elle vraiment fondée ? Comment devient-elle un frein à l’arrivée de capitaux internationaux dans l’économie haïtienne ? Pourquoi dure et perdure-t-elle aussi lourdement ? Est-il possible de la changer ?   Y a-t-il de bonnes stratégies pour la changer ?

Il est logique que les autorités haïtiennes questionnent cette perception négative d’Haïti à l’échelle internationale : agir efficacement contre une telle perception exige qu’on tienne compte de ses principaux déterminants.  La plupart des analystes estiment que cette mauvaise réputation d’Haïti est le fruit de l’instabilité politique des trente dernières années, instabilité chronique qui serait responsable de tous nos maux, de l’insécurité, de la fuite des capitaux étrangers, jusqu’à cette extrême pauvreté qui rend le pays si vulnérable dans tous les domaines.  À ce sujet, l’actuel Ministre haïtien du commerce et de l'industrie, Wilson Laleau[ii], est catégorique  « l'un [des] freins est surdéterminant  et détruit la vie en Haïti : l’instabilité politique…  le pays [vit] une crise politique ‘’permanente’’ nocive à l'environnement des affaires… Durant les trente dernières années, [Haïti n’a] jamais connu de périodes de tranquillité, alors que l'économie, l'investissement et la création d'emplois requièrent un certain ‘’momentum’’ de stabilité.»

On peut identifier deux composantes de cette perception négative d’Haïti chez l’investisseur étranger : une composante objective découlant d’expériences individuelles  ou d’analyses de faits observables en relation avec la situation sociopolitique et les contraintes structurelles de l’environnement des affaires en Haïti;  et une autre part plus subjective qui s’exprime souvent sous forme d’un sentiment négatif généralisé vis-à-vis d’Haïti, sentiment alimenté par la persistance et la récurrence de nos déboires, et ce sentiment est renforcé par une constante représentation peu flatteuse du pays dans les médias de masse à l’international. L’État haïtien a la capacité d’agir graduellement sur les facteurs objectifs à la base de cette image néfaste du pays. Il devrait le faire pour espérer transformer à long terme ce vaste sentiment négatif en un sentiment positif chez de nombreux investisseurs.

Au-delà des généralités, il est essentiel de bien comprendre les différents facteurs constituant le cadre d’analyse objectif des investisseurs étrangers qui évaluent la réalité haïtienne. Plus concrètement, ces facteurs font l’objet de recherches scientifiques très sérieuses publiées par les plus grandes revues économiques. Tout un pan de la littérature économique scientifique est réservée à l’approfondissement des relations entre le cadre légal des affaires, l’exécution des contrats, l’application des lois, la protection de l’investisseur, le respect des droits de propriété, l’accès au crédit et le niveau de développement économique d’un pays. Par exemple les indicateurs du très médiatisé « Doing Business Report [iii] » s’inspirent des principales variables sur le cadre légal des affaires étudiées dans la littérature scientifique économique. Ces variables font partie d’un ensemble plus large appelé « institutions » et sont dites des variables institutionnelles. Le débat n’est pas tranché sur la relation de cause à effet entre institutions et développement économique,à savoir, si ce sont les institutions qui causent le développement économique ou, à l’inverse, si c’est le développement économique qui conduit à la mise en place d’institutions appropriées (Voir Acemoglu [iv] et al 2001 ; 2006 ; Gleaser [v] et al, 2004). Ce qui est admis à l’unanimité est l’influence réciproque entre les deux variables : le développement économique entraîne davantage d’institutions et de meilleure qualité ; les institutions à leur tour stimulent l’expansion économique. On parle dans ce cas d’endogénéïté des variables.  Ce n’est pas l’objet de cet article qui s’attarde en particulier sur trois variables institutionnelles clés, la protection de l’investisseur, le respect des droits de propriété et l’application des lois, telles que conceptualisées dans trois rapports guides pour les investisseurs étrangers:   « Doing Business Report », « International country risk guide » et « Index of Economic Freedom ».

1.1 Protection des investisseurs