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Au Mexique, retour de la "dictature parfaite"?

flag-mexicanLe candidat du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI, centre) a remporté la présidentielle mexicaine. Si son adversaire de gauche Andrés Manuel López Obrador dénonce une fraude massive – probable –, celle-ci ne suffit peut-être pas à expliquer le retour du PRI au pouvoir. Au cœur d’une campagne marquée par la violence que déchaîne le trafic de drogue, une partie de la société mexicaine semble avoir estimé que le PRI était le mieux placé pour « négocier » avec les cartels, comme l’explique Jean-François Boyer dans notre édition de juillet (« Mexico recule devant les cartels », en kiosques).

mercredi 4 juillet 2012

Le télégénique candidat du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI, centre), M. Enrique Peña Nieto, aurait remporté la présidentielle mexicaine, dimanche 1er juillet, avec 38,14 % des voix devant M. Andrés Manuel López Obrador (31,64 %), du Parti de la révolution démocratique (PRD, gauche), Mme Josefina Vázquez Mota (25,4 %), du Parti d’action nationale (PAN, droite) et M. Gabriel Quadri (2,3 %), du Parti nouvelle alliance (Panal, droite) (1). Le conditionnel demeure toutefois de rigueur : M. López Obrador a qualifié ce résultat de « frauduleux » et demande un recomptage des voix. Une première ? Pas vraiment, même au cours des trente dernières années...

6 juillet 1988, 17 h 14 : les résultats préliminaires de la présidentielle placent le fondateur du PRD, M. Cuauhtémoc Cárdenas (2), confortablement en tête. Ce dernier s’apprête à mettre un terme à cinquante-neuf années d’hégémonie du PRI... Mais c’est sans compter sur la bonne fée du parti au pouvoir : à 17 h 15, une « défaillance » du système informatique du Registre national des électeurs interrompt la réception des résultats. Lorsque les choses rentrent dans l’ordre, l’adversaire principal de M. Cárdenas, M. Carlos Salinas de Gortari, bénéficie d’une étonnante avance sur son adversaire. Il ne la perdra plus.

Progrès relatif dans l’histoire du PRI au pouvoir : la fraude électorale a remplacé la désignation directe du président par son prédécesseur. La domination du parti de l’oxymore ne s’en trouve pas menacée pour autant. En tout cas, pas jusqu’en 2000, quand survient une « transition » inédite : M. Vicente Fox, un ancien dirigeant de la société Coca-Cola, est élu aux couleurs du PAN. Après soixante et onze ans de pouvoir sans partage, c’est la fin de ce que l’intellectuel péruvien Mario Vargas Llosa avait qualifié de « dictature parfaite ».

Si le sommeil de l’oligarchie ne perd alors rien de sa sérénité, il en va autrement six ans plus tard, lorsque la population menace d’élire M. López Obrador, qui promet de faire passer « les pauvres d’abord ». Nouveau coup de baguette magique : une « fraude massive et indiscutable » (3) prive le candidat du PRD de la victoire. Son adversaire, M. Felipe Calderón (PAN), est déclaré vainqueur avec une marge de 0,56 % des voix.

Et puis vint juillet 2012.

Sans même évoquer les nombreuses irrégularités enregistrées lors de la campagne et du scrutin (achat de voix, vote contraint sur les lieux de travail, bourrage d’urnes, dépenses de campagne non déclarées, etc.), l’évolution du décompte des voix lors de la soirée électorale du 1er juillet avait un parfum de déjà vu pour les militants du PRD. Tout au long de la nuit, l’écart entre MM. Peña Nieto et López Obrador demeura stable, aux alentours de 3-4 %. « Jusqu’au petit jour, relate l’analyste Laura Carlsen. La différence s’éleva alors soudain à 7 points, suggérant un sursaut dans les votes de dernière minute en faveur du candidat de tête, un phénomène déjà observé en 2006 lorsque la tendance des votes López Obrador et Calderón s’inversa à la fin du dépouillement (4). »

Mais M. Peña Nieto ne doit-il sa victoire qu’à la fraude ? En 2012, 2,5 millions de voix (un écart d’environ 3 %) séparent en effet les deux principaux candidats : d’autres facteurs ont sans doute joué cette année.

D’une part, la campagne de M. López Obrador, à la tête d’une coalition plus divisée qu’en 2006, se voulait « rassembleuse ». Il ne s’agissait plus d’afficher une unique priorité — « les pauvres avant tout » —, mais de séduire également le petit patronat national, écrasé par des monopoles qui, selon l’Institut mexicain pour la compétitivité, amputeraient la croissance mexicaine de 2,5 points par an (5). Le message aura-t-il autant séduit une base électorale dont les résultats en 2012 confirment qu’elle se situe avant tout chez les plus humbles ?

De l’autre, la principale préoccupation des Mexicains demeure la violence, comme le montre l’enquête de Jean-François Boyer dans l’édition de juillet du Monde diplomatique. Lancée dès l’arrivée de M. Calderón au pouvoir, la « guerre contre le trafic de drogue » s’est soldée par un cuisant échec et plus de 50 000 morts. Or, explique Boyer, dans les faits, la violence criminelle « a soudainement éclaté au début des années 2000, dans la foulée de la transition politique » : « La plupart des hauts fonctionnaires complices du crime organisé sont remplacés. (...) Pour la première fois depuis vingt ans, les narcos se retrouvent face à une multitude d’interlocuteurs politiques qui, pour des raisons diverses, ne se sentent plus liés par les accords antérieurs. (...) Les règles du jeu ont changé : les cartels s’affrontent pour s’approprier de nouveaux bastions. Le Mexique découvre ce que l’on appelle la “guerre pour les places” ». Dans un contexte de violence exacerbée, une partie de la société mexicaine se serait ainsi ralliée à l’idée de ramener au pouvoir un parti jugé capable de négocier et de s’entendre avec les cartels.

En 2006, M. López Obrador et ses partisans avaient occupé le centre de la capitale pendant six semaines pour faire reconnaître leur victoire. Sans y parvenir. Cette année, ils bénéficient d’un nouveau soutien : celui du mouvement étudiant « Yo soy 132 » (6) né lors de la campagne pour dénoncer le soutien des grands médias — au premier rang desquels la chaîne de télévision Televisa (environ 70 % des audiences) — au candidat du PRI. Une enquête du quotidien britannique The Guardian a ainsi révélé que Televisa avait perçu d’importantes sommes d’argent pour « rehausser la stature nationale » de M. Peña Nieto,après avoir « mis au point une stratégie médiatique destinée à torpiller Andres Manuel López Obrador » en 2006 (7).

Après avoir multiplié les manifestations de rue, les étudiants se sont donné une nouvelle mission : recueillir suffisamment de preuves d’une fraude massive pour faire invalider la victoire du PRI. Sauront-ils se faire entendre ? Ou observera-t-on, au Mexique, le retour de la « dictature parfaite » ?

(1) Sur la base du dépouillement de 98,95 % des bureaux de votes. Les 2,4 % restants correspondent aux votes nuls ou blancs.

(2) Alors candidat du Front démocratique national, gauche.

(3) Ignacio Ramonet, « Le Mexique fracturé », Le Monde diplomatique, août 2006.

(4) « De la dictadura perfecta a la democracia imperfecta », 2 juillet 2012, Programa de las Américas.

(5) Elisabeth Malkin et Simon Romero, « World Leaders Meet in a Mexico Now Giving Brazil a Run for Its Money », New York Times, 17 juin 2012.

(6) Littéralement : « Je suis le 132e ». Le nom provient d’une manifestation organisée contre M. Enrique Peña Nieto à l’Université iberoaméricaine de Mexico. Lorsque le candidat du PRI dénonça les manifestants comme de « faux étudiants », cent trente et un d’entre eux réalisèrent une vidéo où ils présentaient leurs cartes d’étudiant. La vidéo suscita une importante vague de solidarité, chaque nouveau soutien se présentant comme « le 132e ».

(7) Jo Tuckman, « Computer files link TV dirty tricks to favourite for Mexico presidency », The Guardian, Londres, 8 juin 2012