Tout Haiti

Le Trait d'Union Entre Les Haitiens

Actualités

L'Etat achète des carburants de mauvaise qualité

pompe-gaz

Les produits pétroliers de mauvaise qualité utilisés en Haïti ne sont pas sans conséquence sur le secteur de l'automobile. Si certaines marques choisissent de ne pas commercialiser certains modèles en Haïti, les concessionnaires haïtiens se trouvent parfois dans l'obligation de remplacer un moteur de véhicule après seulement trois ans de service. En Haïti, la question des produits pétroliers est une affaire complexe. A cause des mauvaises choix de l'Etat seul importateur autorisé.

Sur les étagères, les pompes à injection ne traînent pas. Elles se vendent, selon la marque, entre 1 500 et 12 500 gourdes, confie le gérant d'une auto parts à la rue des Casernes, lundi en milieu d'après-midi. « Le carburant de mauvaise qualité vendu dans les station d'essence bousille les pompes à injection des véhicules et entraîne souvent des pannes plus importantes», explique ce dernier. La boule à zéro, il ne saute pas au plafond à cause de cette infortune qui, quelque part, fait sa fortune et celle d'autres entreprises similaires. « Je suis propriétaire de véhicules, donc, victime comme tout le monde », lâche-t-il, préférant parler en « off ».

Ces victimes, désabusées et convaincues qu'elles ne sont pas et ne seront pas écoutées, ne décolèrent pas pour autant. « Nous n'avons aucun droit », maugrée Délinois Pénor, 49 ans, un chauffeur de tap tap. Mais, lui et bien d'autres s'accommodent. Chacun a son « ti boss ». Boss Jude, 10 ans de métier, établit au garage Casino, juste à côté du restaurant Tiffany au Bicentenaire, compte dans sa clientèle beaucoup de « victimes du mauvais gaz ». Les signes sont connus. Dès que le régime du véhicule est instable, qu'il perd de la puissance, il faut penser à un problème au niveau de la pompe à injection, explique ce mécanicien. « Le coût de la réparation varie en fonction de ma relation avec le patron », confie boss Jude. Entre 1 500 et 2 500 gourdes. Des fois, c'est plus cher, ajoute-t-il, étouffant un sourire.

Si boss Jude remplace le plus souvent des pompes à injection, il est monnaie courante de voir le changement complet de moteur, totalement bousillé par le carburant de mauvaise qualité, confie Carl Frédéric Behrmann, de Behrmann Motor's, l'un des plus gros et plus anciens concessionnaires de véhicules en Haïti. On est dans beaucoup de cas obligé de changer les moteurs de véhicules neufs après seulement trois ans de service à cause des problèmes provoqués par l'utilisation du diesel vendu ici dont la teneur en souffre est très élevée. Cela coûte une fortune. Mais pour le prestige de certaines marques, on absorbe certains coûts pour préserver notre relation avec le client, déplore CFB. « C'est une bataille quasi impossible », ajoute-t-il, exprimant le souhait que les autorités importent le diesel Euro 3. « Le diesel utilisé ici actuellement est à peine Euro 2. Et, aujourd'hui, tous les grands fabricants de véhicules demandent aux concessionnaires d'envoyer les spécifications du diesel utilisé. Dans notre cas, parce qu'on n'utilise même pas le Euro 3, il y a des véhicules que les fabricants n'envoient pas en Haïti », détaille Carl Frédéric Behrmann. Les utilisateurs des gazolines 91 et 95 ne sont pas épargnés. « Des tests sur la gazoline 95 montrent qu'elle est d'une qualité moindre que la gazoline 89 », révèle-t-il.

Fabrice Rouzier de la Sun Auto confirme la réticence de certains fabricants à envoyer des modèles récents en Haïti à cause de la mauvaise qualité de l'essence consommée ici. La haute teneur en souffre du diesel favorise un dépôt d'acide sulfurique dans les cylindres et abîme le moteur à la longue. Et aujourd'hui, parce qu'on fait des moteurs en aluminium et de moins en moins en alliage, il n'y a plus moyen de faire le « resurfaçage des moteurs ». On est obligé de changer tout le bloc, explique Fabrice Rouzier, aussi bon en musique qu'en mécanique. Pour solutionner le problème, Fabrice Rouzier propose aux autorités d'importer le Premium diesel. « D'autres qui sont dans le programme Petrocaribe importent le Premium diesel même si sa consommation a un coût », propose-t-il, soulignant que le diesel a été très longtemps subventionné à cause de l'utilisation de ce type de véhicules dans le transport en commun. Depuis un certain temps, ce sont en majorité des véhicules usagés gazoline venant de l'étranger qui assurent le transport en commun. Au-delà des problèmes de qualité liés aux gazolines 91 et 95, Fabrice Rouzier souligne que le « gaz frelaté » pose aussi d'importants problèmes.

Ce problème est connu depuis longtemps. Si des raisons « techniques » expliquent la non-vérification de la qualité de l'essence, des opérations menées par la police et la justice n'ont pas été poursuivies contre les réseaux mafieux qui font des mélanges et vendent du gaz frelaté. « C'est très dangereux et la mafia du gaz ne lésine pas », avait confié au Nouvelliste sous le couvert de l'anonymat une source bien placée à la DCPJ, il y a plus d'un an. « Cette mafia a des ramifications dans les hautes sphères de l'État et dans le milieu des affaires », avait-elle poursuivi, revenant sur les menaces de mort dont a été l'objet un commissaire de police ayant mené une opération pour démanteler un «laboratoire» appartenant à un autre commissaire de police.

Et quand on se fait abattre par les tueurs de la mafia du gaz, l'enquête n'aboutira pas, selon ce policier qui avait rappelé l'assassinat médiatisé d'un cadre de la DINASA, une compagnie pétrolière qui avait tenté de mettre de l'ordre. Sans bavure, le mercredi 11 novembre 2009, des assassins aux aguets, circulant à moto, avaient en effet logé quelque huit projectiles dans le corps de Jean-Bernard Faubert, 57 ans, à l'entrée du terminal pétrolier de Thor, à Carrefour. Le travail de ce cadre consistait, entre autres, à faire des réformes, à vérifier le calibrage du « filling », le calibrage des camions. Entre-temps, à entendre la grogne des consommateurs de « gaz pourris », le ministère du Commerce et de l'Industrie semble n'avoir pas encore pris le taureau par les cornes. Le service préposé à vérifier la qualité de l'essence a-t-il les moyens de faire son travail ? Question à un million de dollars. Et au quotidien, le gaz pourri importé par l'Etat, vendu par les distributeurs et consommé par les automobilistes. Ces derniers paient au prix fort ce choix de nos chefs qui tardent à solutionner ce problème...

Roberson Alphonse
Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

L'ANADIPP dénonce

Le président de l'Association nationale des distributeurs de produits pétroliers (ANADIPP), Max Roumain, a dénoncé le fait que des individus malintentionnés ont mélangé la gazoline avec d'autres substances avant de le distribuer dans les stations-service. Une pratique qui a de lourdes conséquences sur les pompes à injection des véhicules. En outre, Le patron de l'ANADIPP dit plaider pour l'importation d'un autre diesel de qualité supérieure.

« La qualité en soufre doit être moins de 0,2% dans le diesel », a-t-il dit dans une interview accordée à Radio Magik 9. Les concessionnaires de véhicules se plaignent du fait qu'ils ne peuvent plus commander les nouvelles marques à cause de la mauvaise qualité du diesel consommé sur le marché. Ils ont adressé en ce sens une correspondance à l'ANDIPP sollicitant son intervention sur le dossier.

Source: Le Nouvelliste