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Zoom sur la récente vague migratoire haïtienne vers l’Amérique Latine

Pbresil-magrationar Wooldy Edson Louidor

Nouveaux chiffres, prismes conceptuels et images

Bogota, 5 juil. 2012 --- Dans sa carte intitulée Les Haïtiens dans le monde, George Anglade a établi deux grandes vagues migratoires du XXe siècle, 1915-1935 et 1965-1985, ayant créé « la diaspora qui au, Tricentenaire, 2005-2104, fait partie du nouvel espace haïtien Â», selon le géographe haïtien.

Le tremblement de terre ayant frappé Haïti le 12 janvier 2010 a suscité un important flux principalement vers l’Amérique Latine, au point qu’on pourrait parler d’une troisième grande vague migratoire haïtienne du XXIe siècle.

Importance du nouveau flux haïtien vers l’Amérique Latine

L’importance cruciale de ce flux se mesure beaucoup moins en termes quantitatifs que stratégiques, vu qu’il a représenté un « test Â» pour plusieurs États et gouvernements de la région, obligés à repenser leur cadre politico-juridique migratoire face à cette nouvelle forme de migration forcée, causée par un désastre environnemental.

Par exemple, l’Équateur et le Brésil ont créé des dispositifs juridiques spéciaux (comme la création de la catégorie de visas humanitaires) pour statuer sur la situation des migrants haïtiens se trouvant sur leur territoire après le 12 janvier 2010.

Alors que le Chili et le Mexique ont accéléré le processus de la réunification familiale formulée antérieurement par les Haïtiennes et Haïtiens résidant dans ces deux pays.

À rappeler que le système de protection internationale des droits de l’Homme ne dispose pas encore d’un instrument juridique régissant les migrations forcées « environnementales Â» par des directives claires aux États et gouvernements pour protéger cette catégorie de migrants forcés, dont le nombre augmente de manière exponentielle à travers le monde.

Cette nouvelle vague migratoire montre l’exode massif des jeunes haïtiens désillusionnés par la situation de leur pays.

Elle cristallise un kaléidoscope de nouvelles images projetées par l’Amérique Latine sur Haïti et sur l’Haïtien dans le face-à-face quotidien entre ce dernier et des sociétés d’accueil dans la région.

Elle signale le Brésil, sixième puissance économique mondiale, comme un nouveau pôle de migration de plus en plus attrayant en Amérique, confirmant la thèse que deux grands mouvements migratoires se dessinent dans le continent : vers les États-Unis (au Nord) à travers l’Amérique Centrale, principalement le Mexique, et vers le Brésil (au Sud) via l’Équateur et l’Amazonie.

Elle rend visible l’existence de réseaux criminels et illégaux sur les frontières sud-américaines, ainsi que le fonctionnement d’une industrie florissante de trafic de personnes dans la Caraïbe et l’Amérique du Sud.

Elle démontre la nécessité de réviser et élargir les actuels prismes conceptuels (par exemple, les limites de la classification des migrants en deux groupes : migrants économiques et réfugiés) et, comme corollaire, le spectre méthodologique dans la littérature sur la migration.

Finalement, elle invite à repenser les lois et politiques migratoires des États en termes éthiques (l’hospitalité, la solidarité, la dignité) et non pas seulement sur des critères étriqués d’ordre économique (logique coût-bénéfice) et autre.

Contours de la récente vague migratoire haïtienne vers l’Amérique Latine Après le séisme, près de 6.000 Haïtiennes et Haïtiens se sont rendus au Brésil, environ 2.000 en Équateur, la même quantité au Chili, plus de 1.000 au Mexique, pour ne citer que ces pays de la région.

La Guyane française représentait la principale destination des Haïtiens, immédiatement après la tragédie. Cependant, suite à la décision du Gouvernement français, vers septembre 2010, de fermer la frontière de ce territoire d’outre-mer avec le Brésil, des Haïtiennes et Haïtiens ont commencé à élire domicile sur le territoire du géant sud-américain.

Ce flux haïtien vers l’Amérique Latine tend de plus en plus à diminuer, en raison du renforcement des contrôles frontaliers et du durcissement des politiques migratoires par des pays latino-américains.

Loin de s’estomper, ce flux continue jusqu’à date, quoiqu’au compte-goutte et au rythme des actions des réseaux migratoires et de trafic de migrants qui organisent cette industrie.

Reprenant la logique de George Anglade, tout semble indiquer que nous sommes en face d’une troisième grande vague migratoire du XXIe siècle, suscitée cette fois par un désastre naturel (et l’aggravation subséquente de la crise humanitaire et des mauvaises conditions de vie dans le pays), dirigée principalement vers l’Amérique Latine et impliquant surtout des jeunes en quête d’opportunités d’étude, de travail et d’un futur meilleur.

Rappelons que, selon le géographe, la première vague se dirigeait vers la République Dominicaine et Cuba au cours de l’Occupation américaine de l’Île Quisqueya (Haïti de 1915 à 1934 et la république voisine de 1916 à 1924), alors que la deuxième vague s’orientait plutôt vers les États-Unis d’Amérique, le Canada, l’Amérique Latine, les Îles caribéennes, l’Europe, voire l’Afrique.

Les migrants haïtiens impliqués dans la première vague auraient été principalement des travailleurs qui labouraient surtout les vastes champs de canne-à-sucre, sur la base de contrats de travail signés entre les Gouvernements haïtien et dominicain ou cubain. Et ce, sous les auspices de l’occupant nord-américain.

Ceux et celles qui faisaient partie de la deuxième vague auraient été surtout des exilés politiques, dont des intellectuels, des artistes, des opposants politiques, fuyant la dictature duvaliériste.

La migration haïtienne vers l’Amérique Latine se situe dans cette deuxième vague. Des intellectuels et artistes haïtiens, dont Gérard Pierre-Charles et Leslie François Manigat, ont marqué la vie de nombre de pays latino-américains.

Nouveaux chiffres

George Anglade a estimé en 2009 à environ 75 mille le nombre d’Haïtiennes et d’Haïtiens vivant en Amérique Latine (jusqu’à cette date), principalement au Mexique, en Amérique Centrale et en Amérique du Sud, en excluant les Îles caribéennes.

Aujourd’hui on pourrait évaluer à environ 90 mille ce nombre, tenant compte des nouvelles données recueillies de diverses manières et de différentes sources : des États, des organismes internationaux et des organisations non-gouvernementales, dont le Service Jésuite aux Réfugiés pour l’Amérique Latine et la Caraïbe (SJR LAC).

Les données collectées proviennent des registres migratoires d’entrée et de sortie des Haïtiennes et Haïtiens dans les pays latino-américains ; des registres de demandes d’asile, de visas et résidences ; des fiches de suivi du nombre de migrants haïtiens bénéficiaires de services humanitaires, légaux et psycho-sociaux fournis par des organismes non-gouvernementaux ; des recherches et autres investigations auprès des migrants…

Il s’avère de plus en plus impérieux de mesurer avec exactitude et précision le volume et le profil de ce flux vers l’Amérique Latine, en essayant de contourner les difficultés et embûches conceptuelles, méthodologiques, voire idéologiques.

Les définitions non claires des termes utilisés (par exemple, migrants, réfugiés, Haïtiens de naissance, d’origine…), les différents critères adoptés pour identifier et classer les migrants dans divers pays, les sources variées de l’information dans divers registres administratifs, dont les registres de la population, les registres des étrangers et les statistiques des visas ou autres dispositifs migratoires, des enquêtes, des recensements et des statistiques de frontière figurent parmi les principaux écueils.

Nouveaux prismes conceptuels

La récente vague migratoire haïtienne oblige également à réviser et modifier les prismes conceptuels utilisés dans la littérature sur la migration.

Par exemple, les Haïtiennes et Haïtiens qui fuient leur pays après le séisme dévastateur du 12 janvier 2010 ne sont pas qualifiés de réfugiés, parce qu’ils ne pourraient jouir de ce droit qu’en cas de persécution politique, religieuse ou autre, selon le système international de protection des réfugiés actuellement en vigueur quoique mis en question.

Cependant, ils ne peuvent pas être simplement considérés comme des migrants économiques, puisqu’ils ont été forcés de fuir leur pays à cause d’un désastre naturel et d’une crise humanitaire aggravée par la tragédie.

Donc, comment les définir ? Sont-ils des migrants forcés, des réfugiés ou déplacés environnementaux… ? De cette définition dépendent, en grande partie, les orientations du cadre politique et juridique et les décisions y relatives à adopter face à ce flux.

En plus, le style de migration adopté par les Haïtiens dans cette nouvelle vague remet en question le concept même de migration. Au début (au cours de l’année 2010), bon nombre d’Haïtiennes et d’Haïtiens qui émigraient vers l’Amérique du Sud ne visaient pas un pays de destination bien particulier.

Leur rêve était, en premier lieu, de fuir Haïti pour se rendre aux États-Unis d’Amérique et en France à travers la Guyane française, après tout un périple dans la Caraïbe (Cuba et la République Dominicaine) et en Équateur, au Pérou, au Chili, en Bolivie, voire en Argentine et en Uruguay.

Cependant, au fil du temps, face à la fermeture des frontières en Guyane Française et en Bolivie, bon nombre d’entre eux ont été obligés de rebrousser chemin en Équateur, de se diriger au Brésil ou de tenter leur chance au Chili et au Venezuela.

Donc, il ne s’agit pas d’une simple migration, c’est-à-dire d’un mouvement d’un pays d’origine vers un autre d’arrivée, mais d’une errance sans but bien défini, au gré du hasard et sous la houlette des réseaux migratoires et de trafic de migrants.

D’où la nécessité de conceptualiser comme un flux cette nouvelle vague, beaucoup plus semblable à une errance entre les frontières géographiques des pays surtout sud-américains et en rupture complète avec la taxonomie duale en vigueur (migrants économiques versus réfugiés/déplacés).

Kaléidoscope de nouvelles images

La présence des migrants haïtiens a également suscité dans la région latino-américaine de nouvelles images sur Haïti et sur l’Haïtien.

Les frontières symboliques (du mot latin « frontis Â» qui signifie « face Â», « face-à-face Â», « visage Â») entre l’Haïtien et des sociétés latino-américaines n’ont pas tardé à surgir.

L’Haïtien est vu, dans certains pays, comme un visiteur non désiré, une « charge sociale Â» et, dans d’autres, comme un frère nécessiteux.

La présence de l’Haïtien a ravivé dans la région toutes sortes de stéréotypes, voire de préjugés (positifs et négatifs), dans ce face-à-face entre les sociétés latino-américaines et cet « autre Â» qui parle deux langues bien différentes, qui provient d’une culture différente et du pays considéré comme le plus pauvre du continent.

De même, les migrants haïtiens ont connu le vrai visage de certains pays qui se sont dit amis et solidaires d’Haïti. Ils se sont fait des images plus réalistes de ces pays-là et de leurs Gouvernements, dont certains présentent un double profil : solidaires d’Haïti dans leurs discours sur la scène internationale et peu hospitaliers envers les Haïtiennes et Haïtiens se trouvant sur leur territoire.

L’hospitalité envers les migrants dans la région a été exemplaire dans certains cas, mitigée dans d’autres et inexistante dans plus d’un.

Actuellement, plus de deux ans après le tremblement de terre, les Haïtiennes et Haïtiens se trouvent dans le processus d’intégration en Amérique latine. Processus qui varie d’un pays à l’autre, selon l’accueil qui leur est réservé dans les sociétés d’arrivée et le degré d’ouverture de la politique migratoire et d’intégration adoptée par les Gouvernements respectifs. [wel gp apr 05/07/2012 00 :30]