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Les premières averses démasquent les faux projets

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Le ministère de l'Agriculture est dans l'oeil du cyclone. A la chaîne des Matheux et ailleurs dans le pays, on exécute à ses frais des projets de réhabilitation de bassins versants, de profilage de berges de rivières. Le hic ? Ces travaux ne résistent pas toujours aux averses ni à l'évaluation, croient certains.

Un éclair déchire les nuages gris enrobant les cimes d'une colline dans la chaîne des Matheux. Quelques secondes filent et le tonnerre gronde. Des bananeraies tremblent. Une jeune femme, seins nus, peau d'ébène, mensurations de mannequin, met fin abruptement à sa baignade, en contrebas de la digue Probi, dans le lit de la rivière Courjolles, à Arcahaie. Sur son visage, l'inquiétude supplante l'insouciance. Et pour cause. « Une crue dévastatrice peut se produire à n'importe quel moment et on doit se préparer à toute éventualité », prévient Jean Claude Fedner, 37 ans, voisin de la jeune femme. Cet agriculteur, franc, tance les exécuteurs des travaux de « reprofilage » des berges de cette rivière réalisés fin 2012. « C'est un travail bâclé. La rivière, mètre par mètre, grignote ces berges sur des centaines de mètres et finira par emporter encore plus de terre arable vers la mer », lâche-t-il, presque en face d'un bout de gabion semblable à un galion ayant fait naufrage.

Ce costaud, les propos lourds de pessimisme, pense aussi que « le pays n'a pas de chef ». Soixante-douze heures après l'ouverture le 1er juin de la saison cyclonique, annoncée mouvementée pour le bassin de la Caraïbe avec 18 cyclones, dont 8 ouragans, des estomacs se nouent, des critiques fusent et les premières pluies démasquent. Les interventions effectuées sont souvent insignifiantes. Dans certains cas, on verse dans le cynisme en exécutant des projets bidon juste pour siphonner l'argent des bailleurs, peu friands des résultats. Des fois, c'est le ministère de l'Agriculture qui est maître d'oeuvre, confie l'agronome Joël Ducasse. Pire, ajoute-t-il, des contrats sont donnés dans certains cas à des cadres du ministère sous des prête-noms. Comme il n'y a pratiquement pas de supervision et aucun contrôle rigoureux, ces pratiques ont de beaux jours devant elles, soutient Ducasse, sur la route sinuese menant à Petit Bois, au nord d'un petit bassin versant surplombant la rivière Courjolles.

Il illustre. Ici, des millions de gourdes ont été dépensées soi-disant dans des travaux de réhabilitation de ce petit bassin versant l'an dernier, indique Ducasse. Il peste en pointant du doigt une haie de plants de vétiver morts. Résistant en général à la sécheresse, ces plants n'ont pas été revivifiés (pralinage) avant d'être mis en terre, explique l'agronome Joël Ducasse, déplorant, à cause de ces projets bidon, la perte de 150 tonnes métriques à l'hectare à cause de l'érosion dans les environs. « Je réclame une enquête du Parlement, de la présidence sur ces pratiques illégales, immorales », lance Ducasse, convaincu de l'importance du vétiver si l'on veut réellement réhabiliter des bassins versants gravement érodés, grandement endommagés.

Dans les piémonts et dans les environs de « Fandole », de « Passe Mathieu », la dégradation s'étend à perte de vue. Et étend l'immensité de la tâche à abattre pour réhabiliter ce massif dominant la plaine de l'Arcahaie ( nord de Port-au-Prince), l'une des plaines les plus riches d'Haïti. Dans d'autres régions du pays, on exécute ou prétend exécuter des projets poudre aux yeux, soutient le sénateur Francky Exius à la longue audition du gouvernement au Sénat alors que le soleil n'éclairait plus la chaîne des Matheux ce mardi 4 juin. Percutant, le sénateur dénonce, photos à l'appui, jusqu'à embarrasser le ministre de l'Agriculture, l'agronome Jacques Thomas, incapable jusqu'ici de sortir des sentiers battus, de mettre de l'ordre dans ce secteur. Dans l'Ouest, le Sud et ailleurs dans le pays, des projets pas catholiques et pompe à fric ont pignon sur rue. Au nom de l'urgence, selon un agronome un peu superstitieux.

« Nèg Damyen pa jwe », ajoute-t-il, racontant des histoires d'ensorcellement dignes d'un roman de Gary Victor. Entre-temps, dans moins de vingt-quatre heures, des chefs feront de beaux discours devant les caméras à l'occasion de la Journée mondiale de l'environnement alors que la dégradation n'est pas freinée. Des mots, des paroles emportés dans les eaux en furie de la rivière Courjolles. ..

Roberson Alphonse
Source:Le Nouvelliste

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