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Analyses & Opinions

Gouvernance occulte, Gouvernance inculte, Gouvernance superficielle ( Le modèle Zacharie Delva, alias Parenn)

occulte-inculte-puppet touthaiti 

(En prévision de la Conférence organisée par C3 ÉDITIONS le 18 juin 2014 sur « Gouvernance et développement économique Â», Leslie Péan publie une série de quatre articles)

par Leslie Péan, 3 juin 2014 ---  Les histoires abracadabrantes qui circulent en milieu haïtien sur l’occulte ne doivent pas seulement faire sourire. Elles reflètent l’état mental de notre société et exigent une réflexion critique à l’étape du développement où elles sont imaginées. Ces bobards participent dans une large mesure d’une stratégie de la peur propagée et entretenue depuis deux siècles pour maintenir les consciences dans l’oppression. Ils servent ainsi à écarter toute velléité de révolte contre les puissants du jour. Ces aberrations qui renvoient à la pensée médiévale importée d’Europe et d’Afrique ne sont pas particulières à notre peuple. Huit siècles avant que nos ancêtres soient vendus par leurs propres frères et transportés à Saint Domingue en 1502 comme de la vulgaire pacotille, de la pacotille d’humanité, les pays d’Europe luttaient déjà pour s’affranchir de la sorcellerie, des messes noires et autres pratiques sataniques. La sorcellerie a existé longtemps avant le vaudou et rien ne permet d’assimiler l’un à l’autre. Qu’on en juge soi-même au 9e siècle !

 Â« En 897, on déterra à Rome le cadavre du pape Formose auquel on fit procès avant de le jeter dans le Tibre. Geste médiéval ? Pas seulement. Lorsqu’on s’aperçut à Bâle, en 1559, qu’un riche bourgeois, Jean de Bruges, mort trois ans auparavant, n’était autre que l’anabaptiste David Joris, le magistrat fit exhumer le cercueil et extraire le corps qui fut l’objet d’une exécution posthume. Si l’on jugeait et si l’on exécutait les morts, comment ne pas croire à leur redoutable pouvoir ? [1]. Â»

Les pratiques de sorcellerie recensées dans l’ouvrage Malleus malificarum, cette bible des inquisiteurs qui date de 1486, avant que Christophe Colomb ait fait connaissance de Saint Domingue en 1492, témoignent que les « Ã©pidémies démoniaques Â»[2] et autres abominations qui ont secoué l’Europe aux 16e et 17e siècles sont antérieures au vaudou et à toute religion africaine. Les wangas des Européens étaient partout en Suisse, en Angleterre en Allemagne, en France. Selon Jean Delumeau, « wanga pa mache lwen Â».

« â€¦ sur 460 inculpations pour maléfices devant les Assizes de l’Essex entre 1560 et 1680, 50 seulement mirent en cause des victimes n’habitant pas dans le même village que la personne qui les avait, dit-on, ensorcelées. Et cinq dénonciations seulement mentionnèrent une distance de plus de cinq milles entre accusateur et accusé. Ainsi le pouvoir des jeteurs de sort ne s’étendait pas au-delà de quelques milles[3]. Â»

Poisson et poison

L’histoire d’une riche femme mariée des Gonaïves, morte, enterrée et ramenée à la vie dans les années 1960 a fait le tour du pays. Une préfiguration du roman ésotérique Hadriana dans tous mes rêves, de René Dépestre. Selon la rumeur, cette femme devient esclave et maîtresse d’un réputé bòkò du coin à qui elle aurait dit de son vivant : « Je ne saurais jamais être votre concubine. Â» On l’aurait même vue, après sa mort, dansant avec le bòkò durant un bal animé par l’orchestre Septentrional.

Toujours selon une rumeur persistante, elle aurait été rachetée par son époux pour une forte somme et aurait même eu un enfant de lui. Elle aurait ainsi accouché dans l’étonnement des uns et des autres qui n’osaient même parler de cette histoire à voix basse ! Comme nombre d’autres cas recensés au pays de la zombification,  tels que ceux de Clervius Narcisse en 1978, de Francina Iléus alias Ti Fanm en 1979! Alors fantasmes et réalités s’accordent donc.

Ces cas individuels recensés entre 1962 et 1981 ont porté l’université Harvard à dépêcher en Haïti l’ethnobotaniste Wade Davis qui en est ressorti avec l’ouvrage  « The serpent and the rainbow», une référence dans la matière. Le rôle joué dans la provocation de la mort apparente par la tétrodotoxine, poison violent tiré du poisson dénommé « tétrodon» (krapo lanmè en créole, puffer fish en anglais), a contribué au succès du livre et du film qu’on a tiré.

De l’occulte à l’inculte

Si Wade Davis explique la zombification individuelle par cette substance clairement identifiée, on n’a toujours pas trouvé les causes de la zombification sociale et collective observée en Haïti. Comment la dose de cette substance a-t-elle été administrée à tout un peuple de 10 millions d’habitants pour diluer sa personnalité au point qu’il ne voit même pas la nécessité de dénoncer la gabegie, la misère et l’exploitation ? Que dire de celle de se révolter ? Il faut se demander avec Frantz Alix Lubin[4] combien de tonnes de ces «  alcaloïdes, extraits du Datura stramonium, sont utilisés pour provoquer l'effacement de sa personnalité, et naturellement sa soumission à des tiers ? Â» Une telle découverte de castration sociale, à partir de l’étude approfondie du cas haïtien, est essentielle pour la continuation d’un ordre mondial que les puissants de la terre veulent rendre immuable.

Le dictateur François Duvalier, prétendant avoir un lwa (esprit) dénommé 22 zo, avait compris cette propension pour les croyances ésotériques dans notre milieu. Selon le colonel Heinl, avec l’aide du Syrien bòkò Dodo Nasar[5], alias Dodonasa, il en a profité pour créer l’équivalent d’un Ministère des Relations Occultes, sous la direction du colonel Gabriel Garnier[6]. C’est ainsi que Duvalier consultait des têtes de mort pour décider des actions à entreprendre contre ses adversaires. Nombre de tueries et de sacrifices humains ordonnés et réalisés par Duvalier viennent de son hantise pour le pouvoir absolu. Cette propension à la mystique dans le milieu politique haïtien est époustouflante. Au fait, les relations occultes se sont développées à un rythme exponentiel pour imposer des relations incultes au pays.

Le cœur de la société politique, pour ne pas dire de la société tout court, bat au rythme de la méchanceté. Les confusions dans les esprits sont d’autant plus faciles à observer et vérifier que la révolution électronique donne au commun des mortels le droit à la parole et lui permet de s’exprimer sans crainte de la répression et du ridicule. C’est un avantage certain pour mesurer le degré d’arriération Tèt Kale de notre société. Arriération voulue et entretenue. Ainsi, la bêtise s’installe en permanence aux premières loges. Sans masques et sans maquillage. De quoi enchanter les partisans du voye monte qui voient ainsi le naturel duvaliériste revenir au galop. Avec une nouvelle génération de Zacharie Delva, Gérard Daumec et autres Poméro qui hier encore prétendaient avoir un discours critique contre le statu quo. On n’osait pas en demander autant …

Le règne de l’obscurantisme

L’ascension politique de Zacharie Delva, alias Parenn, serait étroitement liée à la sorcellerie. Il était un bòkò aux prérogatives étendues. Le dispositif permettant aux incultes d’arriver au pouvoir prédispose à l’occulte. Sans jamais dévoiler ses secrets, ce personnage, qui a fait fureur, symbolise la jonction de la politique et de l’ésotérisme. Un domaine auquel s’intéressait particulièrement le vieux dictateur. Au point qu’il faillit perdre la vie, en se rendant une nuit sans grande escorte à Côte Plage consulter Dodo Nassa, son houngan favori. Ce dernier avait informé certains opposants tels que les militaires Honorat, Turnier, Alexis et Cayard. Pétrifiés de voir Duvalier risquer sa vie pour se prosterner devant un bòkò aux pieds nus, les conspirateurs se ravisèrent. Ils ont voulu épargner l’honneur national en refusant d’éliminer le dictateur dans de telles circonstances. Ils l’ont regretté amèrement par la suite.

Cette hantise de l’occulte ne s’arrête pas au politique. On la retrouve dans tous les interstices du corps social. Les charlatans propagent l’obscurantisme et ont des proies dans tous les secteurs (santé, éducation, agriculture, finance, sports, etc.). Nombre de maladies ne s’expliquent que par le « voye mò Â». Le footballeur Manno Sanon décrit les ravages de la pensée archaïque et magique à l’occasion des éliminatoires de la coupe du monde de football 1970 à la Jamaïque en ces termes :

« Haïti est un pays très superstitieux. Puisque la sélection comprenait deux groupes, l'un plus favorisé que l'autre, la méfiance régnait en maître entre : " indiscutables " et "réservistes." Par exemple, on ne laissait pas trainer ses affaires, ni ne se retrouvait-on pas dans la chambre d'un autre pour ne pas attirer les suspicions du locataire. A table, on se méfiait d'être empoisonné. Les joueurs qui fumaient ne déposaient jamais leur étui de cigarettes. Il circulait des histoires de faits malveillants. On disait que certains réservistes plaçaient des pièges dans les chaussures des soi-disant titulaires[7]. Â»

La sélection nationale de football aurait perdu à la Jamaïque en 1970, car certains joueurs ont refusé de se baigner avec l’eau puante du « kampe lwen Â» et d’enfiler leur short tête en bas et non à partir de la taille. L’Europe a pris dix siècles pour s’affranchir de la pensée magique et permettre à la science d’expliquer des phénomènes naturels. On ne sait pas combien de temps il faudra à Haïti, qui n’en est qu’à son cinquième siècle d’obscurantisme, pour parvenir au même résultat. La sorcellerie régit le rapport social et est le moteur de la machine qui transforme des incompétents en dirigeants avec une compétence inégalée. Elle est la compétence des incompétents. Il y a fort à faire pour éviter autant l’ivresse des campagnes antisuperstitieuses qui ont jalonné notre histoire que la guerre de basse intensité des élites postcoloniales contre la culture d’origine africaine. (à suivre)


[1] Jean Delumeau, La peur en Occident, Paris, Fayard, 1978, p. 104.

[2] Ibid, p. 74.

[3] Ibid, p. 75.

[4] Frantz Alix Lubin, « Zombie, mythe ou réalité ? », Le Nouvelliste, 10 et 25 novembre 2011.

[5] Robert Debs Heinl and Nancy Gordon Heinl, Written in blood - The Story of the Haitian People, 1492–1971, Boston, Houghton Mifflin Company, 1978, p. 625.

[6] Ibid, p. 638.

[7] Manno Sanon avec Anthony Momperousse, Toup pou yo, Tome I, Salt Lake City, Utah, Montreux Frères éditeurs, 1997, p. 60. Le livre a été réédité par les "Editions des Antilles S.A.", Port-au-Prince, Haïti, 1997.

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