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La disparition de nos élites, Que Faire?

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En hommage à l'Ancien Président S.E. Le Professeur Leslie François Manigat

Bien que je connaissais certains des représentants de nos élites décédées mieux que d'autres, quelques-uns seulement de nom, la nouvelle de leur disparition, à chaque fois, me frappe d'un profond regret. Le regret de les voir disparaitre sans qu'ils aient eu le temps de faire tout ce qu'ils souhaitaient pour notre Haïti, quelle que soit leur appartenance politique. Ce regret est d'autant plus profond considérant l'inexistence d'institutions et d'écoles, de la primaire aux grandes, pour leur renouvellement. J'ai eu l'opportunité d'être reçu par le Professeur et Madame Manigat a leur élégante demeure La Closerie des Palmiers de retour de Sciences-Po Paris, sous la recommandation du Professeur Guy Hermet qui lui avait dédicacé son ouvrage "Passage à la Démocratie" paru en 1996, et m'avait chargé de le lui remettre.

In memoriam: L'éminent Professeur et Ancien Président de la République D'Haïti, S.E. Monsieur Leslie François Manigat nous a légué, entre autres, des récits essentiels de notre histoire qui devront nous guider dans les choix de gouvernance de notre patrimoine. Paix à son âme, ainsi qu'à nos concitoyens disparus avant, pendant et après le tremblement de terre du 12 Janvier, 2010.

Que donc faire pour combler le vide laissé par nos élites disparues?

Nous sommes sur cette terre pour une durée déterminée selon notre héritage génétique, l'état de notre environnement et nos habitudes. Notre société est marquée par un environnement mal entretenu, la maladie et une capacité insuffisante de sa prise en charge, et par un état de conflit permanent qui accélèrent la disparition prématurée de nos concitoyens en général—du nouveau-né au troisième âge.

Notre guerre fratricide, bicentenaire, est le plus grand obstacle au développement de notre pays. Nous devons négocier la paix pour ensuite nous consacrer à l'établissement des institutions de très haut niveau nécessaires au renouvellement des élites: encore plus d'écoles primaires, secondaires—et de métiers, universités, grandes écoles, institutions de régulation, de normatisation, de contrôle, des institutions de recherche, entre autres, pour l'émergence de nos sciences et technologies, pour recruter, rapatrier nos élites partout dans le monde pour les réintégrer et les mettre

la construction du pays. Il faut aujourd'hui trouver une solution à cette situation. Le dénominateur commun de toutes nos crises est celui du pouvoir et date de peu de temps après notre indépendance. Nous avons toujours eu une forte demande de pouvoir face à une offre insuffisante. Un autre point de vue met en avant l'existence, depuis toujours, d'un pouvoir autocratique sans opposition, aujourd'hui encore, d'une démocratie illibérale (illiberal democracy) (1), accompagnée d'une opposition diversifiée et déloyale (no loyal opposition). Ces régimes ne laissent pas assez de place à la créativité. Ils interdisent à la population, toute classe confondue-élites comprises, une plus grande capacité de travail pour augmenter la production nationale. Pour sortir de cette logique, il nous faut changer de paradigme, innover, et aussi emprunter des modèles extérieurs tout en les adaptant. Donc, pour essayer de résoudre le problème de pouvoir, la gouvernance tournante de l'Union Européenne et du Conseil de Sécurité de l'ONU, de la Suisse, ou des Iles Comores pourraient nous inspirer.

Pour résoudre les impasses de gouvernance, on pourrait envisager un article 49.3 dans notre constitution, pareil à celui de la constitution française des années précédentes pour que le gouvernement puisse exécuter tout projet de loi qui sert l'intérêt national malgré toute opposition parlementaire sous l'approbation éventuelle d'un Conseil Constitutionnel ou notre Cour de Cassation. (2)

Un autre grand problème à résoudre est celui de la langue. Nous devons parler et écrire l'Haïtien pour notre identité culturelle—"chaque peuple a droit à sa culture" disait le président Mitterrand, le Français pour maintenir nos liens historiques, approfondir, et rationaliser l'amitié Haïtien-Française et notre spécificité dans la région, l'Anglais et l'Espagnol, comme s'ils étaient nos premières langues, pour notre intégration régionale, nos liens historiques, l'approfondissement et la rationalisation de nos amitiés Haitiano-Américaine et Haitiano-Dominicaine respectivement, et les langues asiatiques et des pays émergents au choix (Chine, Inde, Brésil), les langues africaines pour le renforcement des liens culturels et la promotion des relations économiques et politiques. Ainsi notre population et nos jeunes en particulier auront plusieurs voies d'émancipation. Notre commerce et nos capacités d'absorption, comme par exemple celle du travail des nouvelles technologies, en bénéficieront. La stratégie de l'utilisation de l'espagnole aux Etats-Unis est exemplaire. Agricole, industrielle, nous avons raté toutes les révolutions, essayons donc de réussir celles en cours.

Il y a aussi notre apartheid, dans toutes ses nuances et couleurs, qui nous empêchent d'avancer. Nous sommes tous des Haïtiens. Essayons de suivre et de faire encore mieux que l'Afrique du Sud. Tout Haïtien doit pouvoir participer à la vie politique et économique de son pays. Les banques restructurées, dans une économie réformée, doivent servir tous les citoyens, avec des méthodes comptables appropriées et transparentes pour profiter des investissements étrangers.

Notre plus grand devoir est d'être encore plus conscient et fier du grand héritage que nos pères fondateurs nous ont légué et de reprendre le chemin qu'ils nous ont tracé avec les outils, stratégies et le savoir-faire de notre siècle. Tous les éléments existent au sein de notre population, intérieure et extérieure, pour enfin faire un plus beau et grand pays, pour enfin nous prendre en charge. Aux élites d'agir en complicité avec toute la population.

Dr. J. Marcel-St Louis DeMertine
Conseil de l'Union Haïtienne
Photo source: LeNouvelliste
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1. Zakaria, Fareed, "The rise of illiberal democracy", Foreign Affairs, Vol.76, No.6, November/December 1997, pp. 22-43.

2. Ferriti, Raymond, "Article 49.3", Net-Iris.com, 27. Février 2003.