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Analyses & Opinions

La Constitution de 1987 est-elle vraiment amendée ?

Le Président Martelly doit savoir qu’il existe des secteurs en Haïti qui n’accepteront pas cette politique du fait accompli et que sa démarche ne fait que compliquer sans raison sa tâche de gouverner, susciter des suspicions inutiles contre son régime et attiser les querelles et les haines entre Haïtiens, déjà si prompts à s’entredéchirer pour des riens… Comme dit Churchill, le Président Martelly avait à choisir entre la guerre et le déshonneur. Il a choisi le déshonneur. Il aura la guerre. Il va se trouver bientôt dans une situation politique et juridique inextricable, dans une crise majeure. Ce qui s’est passé est un précédent très dangereux. D’autres à l’avenir seront tentés de l’imiter. Selon nous, un second retrait des prétendus amendements est à terme la seule planche de salut du Président Martelly.

Le document frauduleux qui a été publié dans Le Moniteur est en réalité un simple TRACT, car il n’est pas revêtu de la signature du Président de la République et du grand sceau de la République et que de ce fait il ne possède aucune formule de promulgation qui lui donnerait une force exécutoire. Il est un document sans existence juridique et inopérant certes, mais il va produire néanmoins des effets de droit. On est ici dans le cas de la déclaration unilatérale produisant des effets de droit, qui est selon la théorie juridique une des sources du droit. Le Président Martelly dispose de la puissance publique. Il a décidé de faire du de facto. C’est son affaire. Il peut bien commettre une violation de la Constitution ce faisant, mais à moins de se lancer dans une rébellion ouverte ou violente contre les pouvoirs publics, on va subir les effets de droit de cette mesure de facto. Les bons citoyens vont obéir à la mesure de facto en attendant mieux de la part des pouvoirs publics, mais elle restera du de facto. La vie nationale ne peut s’arrêter. Le cas s’est déjà produit dans le passé par deux fois avec la même Constitution de 1987. Le général Henri Namphy après son coup d’Etat du 19 juin 1988 contre le Président Manigat avait mis l’intégralité de cette Constitution en veilleuse et le général Prosper Avril après le renversement du général Namphy en septembre de la même année avait maintenu certains de ses articles en veilleuse. Ces mesures de facto avaient produit des effets de droit pour l’ensemble de la communauté. C’est exactement la même chose ici. Nous sommes en plein dans le de facto, même si cela semble faire l’affaire de certains. Il n’y a pas d’amendements, mais seulement du de facto. Il y a eu un coup de force contre la Constitution de 1987.

Cependant, à quelque chose malheur est bon. Les amendements frauduleux produiront des effets de droit au profit de tiers qui sont de bonne foi. En particulier,  nous nous réjouissons tous que notre diaspora puisse bénéficier de la nationalité haïtienne. Même en cas de retrait du texte frauduleux à l’avenir, on ne pourra plus lui ravir ces droits en vertu du principe juridique de l’intangibilité des droits acquis. Nous tenons à signaler que le Président Martelly aurait pu faire la même chose avec les textes existants de la Constitution et de la loi en donnant une interprétation différente à ces textes par une simple décision administrative sans avoir besoin de passer par le biais d’amendements frauduleux, mais l’incompétence, la pusillanimité, le manque d’intelligence, l’absence de vision, la veulerie et la paresse de ses conseillers n’ont pas rendu la chose possible. On choisit toujours les solutions de facilité dans notre pays et on rejette celles qui demandent le plus petit effort intellectuel. C’est la déroute de l’intelligence, pour reprendre la formule de Roger Gaillard.

Il y a aussi un autre avantage. L’arrêté présidentiel de Martelly de juin 2011 qui faisait le retrait des amendements frauduleux était lui-même irrégulier, car un arrêté qui est inférieur à une loi ne peut faire le retrait de la loi. Me Monferrier Dorval avait fait magistralement ressortir ce point. Nous avions été aussi comme juriste dérangé au moment même de sa sortie en juin 2011 par cet arrêté présidentiel qui faisait retrait d’une loi. Nous avions appelé au téléphone un de nos amis qui est un éminent juriste bien plus compétent que nous, Me Alphonse Gérard Ernst M. Avin, notaire à Port-au-Prince, pour avoir ses lumières. Me Avin nous avait dit que notre perception concernant l’arrêté de retrait était correcte, et dans la consultation qu’il nous avait donnée, il nous avait dit que l’arrêté présidentiel aurait dû faire simplement le retrait de l’acte de promulgation du Président Préval et que cela suffisait en la circonstance.