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Rapport déguisé : Les recommandations de la Commission d’Évaluation Électorale « Indépendante » (CEEI) sont illégales

caricature-les priers de martelly election

Par Leslie Péan, 4 janvier 2016 ---  À peine a-t-il été publié en Haïti que le Rapport de la Commission d’Évaluation Électorale « Indépendante Â» (CEEI) a été décrié par la grande presse internationale. Les trois grands journaux de la côte Est américaine (Miami Herald, Washington Post et New York Times), Le Monde en France et Le Devoir au Canada l’ont Ã©pluché et critiqué. En Haïti, il est venu confirmer le sentiment largement répandu dans la population que les élections du 25 octobre 2015 représentent « une vaste opération de fraude électorale planifiée[i] Â». Soulignons que la CEEI créée par le Président Michel Martelly lui-même n’a pas pu fonctionner en véritable entité indépendante, en raison des conflits d’intérêt inhérents à sa création par le responsable des abus commis par le Conseil Électoral Provisoire (CEP).

Ainsi, cette CEEI a tout fait pour restreindre les options, faire abstraction des infractions constatées et outrepasser la loi. Ses recommandations foulent tout aux pieds, jusqu’aux progrès de la civilisation. C’est comme si l’on était encore dans la savane. Ce faisant, elle a inventé de toute urgence les formes de protection les plus absurdes pour son patron Sweet Micky. Essentiellement, la recommandation principale de la CEEI est de continuer avec l’inefficacité qui fait notre malheur de peuple : le calbindage. En effet, le mauvais papier déguisé en Rapport de la CEEI n’apporte aucune solution viable comme s’y attendaient ceux qui se font des illusions. C’est plutôt le désenchantement et le découragement. Faut-il y voir la raison pour laquelle Gédéon Jean, représentant du secteur des droits humains, s'est démarqué, n'a pas signé le Rapport déguisé de la CEEI et a refusé d'endosser le costume de carnaval qui lui a été imposé ?

Gédéon Jean a justifié sa dissidence sur l’émission « Train matinal Â» de Radio Zenith le 4 janvier 2016 en expliquant que les conclusions du Rapport de la CEEI ne cadrent pas avec les fraudes observées. Dans son optique, les recommandations devraient appeler à une investigation plus approfondie passant par un recomptage des bulletins et à une demande de vérification des procès-verbaux (PV). On s’explique donc que Gédéon Jean ne figure pas sur la photo montrant  la réception du Rapport déguisé de la CEEI déguisé de 14 pages par Martelly. Les responsables qui ont infligé tant de mal à la population haïtienne, avec leur mascarade électorale, peuvent continuer à jouer leurs instruments de musique désaccordés depuis longtemps !

En cette saison de carnaval, le Rapport déguisé de la CEEI invite à ne pas douter du talent de ses membres, aussi maléfique qu’il soit, et insiste pour que la population aille aux urnes le 17 janvier pour installer un nouveau président le 7 février. On comprend donc que le travail du CEP soit considéré acceptable par la CEEI. Il n’est pas question que la vérité relève la tête et que les fraudes soient exposées. Comme le Coordonnateur Spécial pour Haïti au Département d’Etat américain, l’ex-ambassadeur Kenneth Merten, et de Peter F. Mulrean, nouvel ambassadeur américain en Haïti l’avaient avancé péremptoirement. De toute façon, la CEEI reconnait que « la perception de l’ingérence de l’international dans les grandes décisions du pays, jette de la confusion dans les esprits et du discrédit sur les autorités constituées du pays. Tout ceci risque de conduire le pays dans une situation incontrôlable[ii]. Â»

Deux présidents pour le prix d’un

Les consignes de Washington sont strictes même si la corruption électorale saute aux yeux. Le processus électoral corrompu reçoit la bénédiction des ambassadeurs américains Kenneth Marten et Peter F. Mulrean. Ils ont pour mission d’enlever l’épine Martelly au pied d’Hillary Clinton et de garder la longueur d’avance de cette dernière sur ses rivaux aux élections primaires du parti démocrate. Les tuteurs américains insistent pour que la question électorale haïtienne soit résolue comme ils l’entendent, c’est-à-dire avant les primaires démocrates dans l’État de Iowa le 1er février 2016 et celles de l’État du New Hampshire le 9 février 2016. Même si l’avenir doit être sombre, sinon noir, pour Haïti, il ne faut surtout pas faire rater aux Américains la chance inouïe d’avoir « deux présidents pour le prix d’un Â».

Le processus électoral corrompu en Haïti est affecté de sept plaies comme dans l’Apocalypse. Au fait, la forfaiture était programmée depuis le 16 janvier 2014. À cette date, le président Martelly avait publié dans le journal officiel Le Moniteur la loi qui réduisait dans son article 8, de cinq cents (500) à vingt (20), le nombre de membres nécessaires à la création d’un parti politique[iii]. D’où le nombre époustouflant de 192 partis politiques créés au 26 mars 2015, dont 166 sont officiellement agréés. Le président Martelly a trainé les pieds plusieurs mois avant de publier cette loi afin de mieux prendre au piège la classe politique qui n’a pas vite saisi la manœuvre sous-tendant cette décision machiavélique.

Avec le Rapport déguisé de la CEEI, personne ne peut plus prétendre ignorer les fraudes déjà dénoncées par nombre de partis politiques, dont le G-8, le G-30, Fanmi Lavalas et de nombreuses personnalités de la société civile. On ne peut rien trouver de satisfaisant dans « les irrégularités assimilables à des fraudes[iv] Â» relevées par les investigateurs de la CEEI. Dans ce cas précis, la CEEI a dénoncé des irrégularités et des fraudes. Elle est pourtant restée en bordure des fraudes massives constatées sans recommander l’annulation des élections du 25 octobre d’une part et que des sanctions précises telles que prévues par la loi soient appliquées contre les fraudeurs pour leurs malversations d’autre part. De ce fait, le capital « confiance Â» dans le CEP mais aussi celui de la CEEI disparaît car dans les deux cas, le bout de l’oreille de l’âne déguisé en lion est montré.

À coté du gaspillage des fonds provenant des pays qui ont financé la mascarade électorale, les citoyens ont subi de plein fouet les affronts suivants :

1- Plus de 57% des votes comptabilisés ne portent pas de signatures des électeurs
2- Plus de 30% des votes comptabilisés ne sont pas liés à un numéro de Carte d'Identification Nationale (CIN)

3- Plus de 46% des numéros qui figurent sur les listes d'émargement sont faux
4- Plus de 43% des Procès-Verbaux (PV) contrôlés contiennent des ratures et des modifications de chiffres
5- Plus de 76% des irrégularités constatées dans les PV contrôlés n'ont pas été consignées dans des « procès-verbaux d'irrégularité »
6- Plus de 39% des votes effectués sur procès-verbaux n’existent pas dans les listes d'émargement
7- 40% des PV n'ont pas été dressés conformément aux exigences du Décret électoral et sont incomplets

Le CEP a donc perdu toute crédibilité et n’est en aucun cas habilité à conduire un deuxième tour. Au fait, il faut aller au-delà de ce simple constat. Une approche éthique exige de rendre justice et non de « trouver rapidement une solution consensuelle afin d’éviter au pays une catastrophe Â» comme le prétend le Rapport déguisé de la CEEI. Encore une fois, l’impunité est proposée comme solution alors que la justice est une condition sine qua non du progrès social. Il y a lieu de reconnaitre que les fraudes commises par le CEP sont des crimes qui méritent d’être sanctionnés selon la loi. Les résultats diffusés n’ont aucune fiabilité et le CEP est totalement plombé par la corruption.

Pour un changement radical des mentalités

En effet, les articles 208 à 219 du Décret Électoral publié au journal officiel Le Moniteur en date du 2 mars 2015 établissent des peines précises pour les crimes électoraux. D’un côté, pour les inscriptions de manière frauduleuse (article 210), il est prévu des travaux forcés à temps et une amende de cent mille (100,000) gourdes. De l’autre, pour les crimes consistant à falsifier les procès-verbaux, les listes d’émargement, les feuilles de comptage, il est prévu la peine des travaux forcés à temps et une amende de cinq cent mille (500,000) à un (1) million de gourdes (article 211). Ces infractions n’excluent pas les contraventions et autres délits qui sont sanctionnés par le Décret Électoral. (Voir Le Moniteur, numéro spécial, Port-au-Prince, 2 mars 2015, pages 52-55).

Les recommandations de la CEEI sont illégales car elles s’écartent de la démarche élémentaire consistant à identifier les coupables et à faire justice. L’incohérence est manifeste entre le constat de la CEEI et les actions proposées pour résoudre les problèmes trouvés. On est en face du clientélisme classique haïtien, ce péché mignon de notre terre que nous continuons de commettre allègrement, bien qu’il nous conduise dans la décrépitude !

La CEEI veut leurrer tout le monde en contournant un défaut fondamental de notre culture : le calbindage. Un changement radical des mentalités s’impose. Il ressort de la lecture des Recommandations que la CEEI n’est pas prête à affronter les problèmes qu’elle a identifiés. Au contraire ! Il y a un manque net de véritable engagement, de responsabilité et de détermination. La mystification est délibérée et organisée.

Le Rapport déguisé fragilise encore plus le tissu social en pointant du doigt certaines malversations sans recommander des sanctions contre les coupables. En ce sens, il restreint et distend les droits fondamentaux qui font de l’individu un citoyen et que les élections sont censées renforcer. C’est un coup dur à la raison élémentaire mais aussi et surtout à ce qui reste de dignité chez l’Haïtien.

Renforcer et élargir les mouvements de protestation

Le Rapport déguisé de la CEEI ne propose aucune mesure sérieuse de redressement. En ce sens, il reflète les instructions de l’ambassadeur américain Peter F. Mulrean qui a affirmé que ce qui est important, c’est le processus. Il ne saurait mieux dire ! Les bandi legal l’avaient bien compris et ont confisqué le processus électoral longtemps avant pour pouvoir conserver le pouvoir jalousement. En créant une multitude de partis politiques bidon, en inventant des milliers de mandataires qui votent le jour des élections, en réussissant à faire avaler toutes ces couleuvres à une population zombifiée. Démarche réussie d’abord le 9 août et puis le 25 octobre grâce aux réseaux mafieux qui les protègent. Haïti est devenue un vaste cirque où des rois et reines de carnaval amusent la galerie tout en forçant les spectateurs à les regarder et à applaudir.

Nous refusons de comprendre que le mode de pensée archaïque qui impose le compromis entre bourreaux et victimes nous coûte très cher depuis 212 ans. Le résultat est la diabolisation d’Haïti et la disparition de toutes perspectives d’avenir. Ce mode de pensée servile conduit à des modes d’action qui transpirent dans les recommandations du Rapport déguisé de la CEEI. C’est d’ailleurs ce qui explique que les résultats frauduleux des élections législatives et municipales ne fassent l’objet d’aucune considération par la CEEI. On notera également que la communauté internationale a fait appliquer des normes différentes à l’évaluation des élections parlementaires et municipales de celles retenues pour les présidentielles.

En 2010, cela a donné un ensemble d’institutions incapables de fonctionner selon les normes démocratiques habituelles. La communauté internationale reproduit aujourd’hui cette manière de faire intentionnellement et cela passe comme une lettre à la poste. Les Haïtiens doivent accepter les résultats du CEP comme tels s'ils ne veulent pas être confrontés à de vrais matadors. Alors, on comprendra pourquoi le Centre de Tabulation des Votes est dénoncé comme Centre de Tribulation des Votes. Les forces du statu quo dans les coins les plus reculés s’opposent à ce qu’on remette les pendules à l’heure. Il n’est pas question de laisser les progrès scientifiques permettre qu’un œuf bouilli retrouve son état original liquide, comme les scientifiques des universités de Californie et d’Australie l’ont réalisé l’an dernier.

Finalement, la lumière projetée sur les crimes commis par le CEP n’a été rendue possible que grâce à la mobilisation de tous les démocrates et progressistes. Ce sont les manifestations publiques des trois derniers mois qui ont forcé les bandi legal à lever un coin du voile. Le remède final au cancer qui ronge la société haïtienne ne sera trouvé qu’avec le renforcement et l’élargissement des mouvements de protestation à tous les secteurs de la population. La consigne doit donc être à la mobilisation générale et continuelle. Comme le G-8 l’a montré, la discipline tactique doit prévaloir en avançant en rangs serrés. Dans la conjoncture actuelle, le vieil adage créole est de rigueur : « Di djab bonjou l’ap manje w’, pa di l’ bonjou l’ap manje w’.» (saluer le diable, il vous dévore, ne pas le saluer, il vous dévore). Il faut donc lui botter le cul.

Il importe de contraindre les autorités judiciaires à appliquer les sanctions que le gouvernement a lui-même inscrites dans le décret électoral. Une question se pose alors : le gouvernement a-t-il prévu de telles sanctions pour donner le change ou avait-il l’intention de faire les choses correctement ? Il est clair maintenant qu’au départ les intentions étaient de frauder en toute impunité. La fosse septique est pleine et déborde avec les 100%, 200% et 400% de déchets avec lesquels Sweet Micky, devenu président Michel Mal Éli, a produits trois CD qui donnent la nausée.

Leslie Pean
Historien - Economiste


[i] Solidarite Fanm Ayisyen (SOFA), Conseil National d'Observation Électorale (CNO), Conseil Haïtien des Acteurs Non Étatiques (CONHANE), Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH), Scrutin du 25 octobre 2015 : une vaste opération de fraude électorale planifiée, Port-au-Prince,12 novembre 2015

[ii] Commission d’Évaluation Électorale « Indépendante Â» (CEEI), Rapport de la Commission, Hotel Kinam, Pétion-Ville, 2 janvier 2016, p. 2.

[iii] « Loi portant formation, fonctionnement et financement des Partis Politiques Â», Le Moniteur, 169è Année, No. 10, Port-au-Prince, Jeudi 16 Janvier 2014, p. 4.

[iv] Commission d’Évaluation Électorale « Indépendante Â» (CEEI), Rapport de la Commission, op. cit. p. 10.