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Pascal Adrien et la mémoire de Charlot Jacquelin

charlot jacquelinCharlot Jacquelin

Lettre ouverte au camarade CHARLOT Jacquelin Junior par Pascal Adrien

CHARLOT, je sais à quel point ce nom est pour toi un fardeau historique. Je crois savoir également le vide affectif que tu endures à cause de la disparition tragique de ton père, le feu CHARLOT Jacquelin. Je ne t'écris pas cette lettre ouverte par dilettantisme mais par conscience de l'Histoire et pour le triomphe de la vérité.

Le prétexte de cette lettre est ta publication sur Facebook de la dernière photo de ton père prise, comme tu l'as souligné, peu avant sa disparition mystérieuse. Rayonnant, plein de vie et d'ardeur combative, CHARLOT Jacquelin, dans ce cliché, semble dégager l'aura charismatique et même mystique commun aux vrais leaders révolutionnaires de l'Histoire Universelle. Je t'avoue que c'est la première fois que je vois ton père en photo. Son nom est si grand qu'il éclipse encore son visage, dirait-on. En ce sens, point n'est besoin de te dire combien ta publication m'a été utile, camarade.

J'ai scruté la photo dans la perspective d'un voyage historique pouvant me ramener en plein coeur des années 80. Pour être né en 1990, je n'ai pas connu ton père dans ses heures de combat. J'ai donc voulu questionner la photo, dans une dernière tentative désespérée de revisiter cette galerie historique majeure où sont exposés "rêves ensevelis et missions non accomplies".

Camarade! En t'écrivant ces quelques lignes, je constate que c'est cette même photo qui te tient lieu de "profil whattsapp". C'est dire que ces jours-ci, tu es plongé dans une profonde réflexion sur le sens de la vie, de la mort, du combat politique, du martyr, de l'engagement etc.

CHARLOT Jacquelin a porté le projet démocratique haïtien sur les fonds baptismaux. Je contemple sa photo comme un Cubain témoignant une déférence sacro-sainte envers une photo du Che ou de Castro. Je sais que cette allusion sensible peut être mésinterprétée, mais j'assume. Parce-qu'après tout, il est venu le temps de mourir debout et de refuser de vivre à genoux.

Camarade! 31 ans après 1986, il est évident que le projet démocratique est encore à ses balbutiements. La justice sociale est lettre morte, le fossé entre riches et pauvres allant crescendo. La décentralisation n'existe que conceptuellement au coeur des grandes envolées oratoires des pseudo-intellos. Cité Soleil est encore la métaphore de la misère la plus abjecte, et nos congénères partent par milliers vers des cieux plus cléments quand ils ne se livrent pas à la prostitution, à l'homosexualité monnayée, ou au vol à mains armées.

Camarade! Les anciens camarades de ton père qui ont survécu à la dictature sont maintenant classés en deux catégories: les riches "abolotchos" et les vrais militants misérables. Les riches "abolotchos" ont renié les idéaux de justice sociale pour un plat de lentilles: leur petite mobilité sociale personnelle. En effet, après 1986, devenus Présidents, Premiers Ministres, Ministres, Directeurs Généraux et autres, ils ont pillé les caisses de l'État, au grand dam de la lutte contre la corruption. Au mépris de la misère des électeurs naïfs, ils ont acheté des villas en Floride, en République Dominicaine, comme pour asséner un dernier coup de boutoir à la gauche haïtienne.

Camarade! Ces riches "abolotchos" ne daignent même pas organiser une messe de requiem pour ton père et pour tous les autres camarades qui ont offert leur jeunesse en holocauste pour que notre génération puisse s'exprimer librement aujourd'hui. Ils se sont enrichis, tout simplement, et ils se foutent pas mal de l'Histoire. Suivez bien mon ragard, camarade! Où sont passés les apôtres de "Justice, Transparence et Participation"? Où est passé le chantre du fameux "Vivre ensemble" folklorique? Ils sont là, crachant sur la mémoire de ton père disparu.

L'autre catégorie (les vrais militants misérables) traînent sa misère et son cortège de désillusions. Ces militants qui ont cru à une possibilité de transformation sociale ont été bernés par les riches abolotchos assoiffés de pouvoir et d'argent. Aujourd'hui, ils égrènent le chapelet de leur vie en lambeaux et sont, par conséquents, des morts ambulants. Quand le rêve révolutionnaire s'est envolé en éclats, c'est toute une génération d'hommes et de femmes qui s'enlise dans la honte pour avoir menti à la nation.

Camarade! Mes mots sont probablement cruels. Mais je ne puis m'encombrer de l'utilisation d'euphémismes, à un moment le "chawa pete" se fait hégémonique. Souffre donc que je t'écris les maux en vrai en usant des mots qui sont les vrais.

Camarade! Ton père a disparu. Son rêve aussi. Ses idéaux également. Que faire aujourd'hui? Camarade! Que faire? La fameuse question philosophique à laquelle notre génération doit répondre aujourd'hui.

Au-delà de la publication isolée de la photo de ce symbole hautement historique qu'est CHARLOT Jacquelin, nous devons nous approprier les idéaux du militant convaincu. C'est le moyen le plus noble pour perpétuer la mémoire de l'homme dans celle de tous les honmes et femmes de la postérité. Sinon, au rythme où évolue l'amnésie collective, après ta mort, CHARLOT Jacquelin n'aura été qu'un numéro. Tu ne seras plus là pour publier, en singleton, sa photo sur les réseaux sociaux.

Camarade! Frère! Zanmanm! Nous avons du pain sur la planche. Notre génération illustre bien "les Dix Hommes Noirs" d'Etzer Vilaire. Il faut donc colmater l'hémorragie. C'est au nom de cette noble cause que ton père s'est sacrifié. Si ton père a été trahi par la plupart de ses camarades, aujourd'hui, ces mêmes idéaux qui ont galvanisé le peuple haitien dans les années 80 doivent reconquérir leurs titres de noblesse. Dans le cas contraire, CHARLOT Jacquelin Junior, Pascal ADRIEN, Claude JOSEPH, Euvrard SAINT-AMANT, Herrick DESSOURCES, Yves LAFORTUNE, Thomas LALIME, Etzer EMILE, Jean Edmond JEAN BAPTISTE, Ricarson DORCÉ, Valery MOISE, Davidson TOUSSAINT, Alexandre TELFORT, Katie Flore FILS AIMÉ et tous les autres jeunes dynamiques des dix départements du pays et de la diaspora, nous n'aurons été que des automates inconscients de notre responsabilité historique.

Camarade! Ce que j'écris me parait déjà assez long. Je m'arrête momentanément ici. J'attends ta réponse pour alimenter l'espace public en idées fertiles devant sous-tendre notre praxis dans les jours à venir. Que la mémoire de ton père soit honorée par un mouvement social pro-actif dans les jours qui vont suivre. Inévitablement ...

J'allais conclure avec la formule lapidaire "Hasta La Victoria! Siempre" mqis je me rappelle une vidéo d'une jeune étudiante haïtienne au Canada qui a fait résonner ces délicieux mots créoles dans mon coeur au son du tambour révolutionnaire: "Moun k'ap batay pa mouri! EWA !!!"

Pascal ADRIEN
Citoyen Haïtien

Delmas, dimanche 23 juillet 2017 (10h 04 am)