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Un caillou dans un soulier neuf

frantz-duvalLes concessions et reculs se suivent et se ressemblent. Après la volonté de rétablir l'armée qui a ramolli comme fer au feu, la Constitution amendée dont la publication a eu lieu après un an et quelques jours de tergiversations, le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) vient de faire demi-tour.

Ne nous en plaignons pas, les magistrats n'avaient pas d'autre issue. Ne nous en réjouissons pas, toutes les boules de cristal prédisaient la déroute de l'errance aride.

Le vote pour désigner les représentants du CSPJ au Conseil électoral permanent va reprendre. Des jours et des semaines de perdus, un peu de la superbe du pouvoir judiciaire et de ses supports qui s'effrite. Une jeune institution bute sur les rapports de force et la morale démocratique. Sans plus.

La présidence aura du mal à son orgueil de faire de même et de rapporter l'arrêté nommant les six membres, mais voilà, le CEP des six a vécu. Il a implosé comme une étoile en fin de vie. Le mieux est d'effacer le tableau et de tout recommencer. Sans rancune. Le cap sur de bonnes élections inclusives et transparentes. Il y a plus de gloire dans la correction du tir que dans l'entêtement.

Les animateurs de crises qui gravitent autour du pouvoir Martelly-Lamothe et les faucons qui se laissent griser par l'envie d'en découdre avec tous doivent se faire une raison : le pays ne se laissera pas mener comme un veau à l'abattoir. Dommage que le replâtrage du CEP survient en pleine contestation et multiplication des manifestations! Dommage!

On a longtemps souhaité que le président ne joue plus à la vedette. Le temps est venu d'espérer que le chef de l'Etat s'inspire du chanteur qu'il a été.

Michel Martelly doit réapprendre à changer de rythme, à varier son répertoire, bien placer les musiciens qui concourent à son succès, anticiper avant les autres pour dominer le marché musical hier, gouverner pour le meilleur le pays aujourd'hui. Martelly président doit relire les partitions du succès de Sweet Micky.

Comme il était impossible à Sweet Martelly de performer tous les jours de l'année, 24 fois dans une journée, autant le premier élu de la nation ne peut enfourcher les feux de l'actualité en permanence. Cet éparpillement jouissif est symptôme de gaspillage d'énergie. Pas celui de l'efficacité productive.

En un mot comme en dix, le bling-bling et le communiqué pour un tout, un rien, des fois pour rien du tout, n'éclairent en rien sur les activités réelles du gouvernement et de l'Etat. Une politique de communication agressive ne cache ni ne comble le vide laissé par les grandes phrases et les belles idées sans suite tangible.

Ces derniers temps, le décompte des dépenses, des promesses, des envies et des besoins exprimés par les responsables publics laisse remarquer que le budget nécessaire à la bonne marche de l'État Martelly dépasse nos capacités, surpasse nos potentiels fiscaux actuels. Cela gonfle les attentes démesurément, use les enthousiasmes, fragilise l'investissement d'espérance.

Le petit matin du bilan final – qui arrive toujours plus vite qu'on ne l'escompte- ne ressemblera en rien aux soirs des cogitations enfiévrées si le gouvernement continue à investir dans des impasses. Martelly et son Premier ministre du moment, Laurent Lamothe, ont en main les cartes de l'avenir. Qu'ils soient sereins et inventifs. C'est tout le mal qu'on leur souhait.

Le processus démocratique, si chèrement payé depuis 1987 que nous organisons des élections, impose le respect des mandats. C'est un acquis. Pas une licence. Les turbulences des derniers jours soulignent sinon la mauvaise gestion au moins l'insatisfaction de couches de la population. On ne peut marcher loin ni gouverner avec une pierre, même petite, coincée entre un pied ample et un soulier neuf. Il faut se défaire du caillou ou de la chaussure.


Frantz Duval
Source: Le Nouvelliste