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Lettre ouverte de Amnesty International au Premier Ministre de facto Evans Paul - Faites des droits humains la priorité de votre nouveau gouvernement

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Document - Haïti: Lettre ouverte à Evans Paul, nouveau Premier ministre d'Haïti : Faites des droits humains la priorité de votre nouveau gouvernement.

Lundi 02 février 2015

Lettre ouverte à Evans Paul, nouveau Premier ministre d'Haïti :

Faites des droits humains la priorité de votre nouveau gouvernement.

Monsieur le Premier ministre,

Amnesty International vous écrit pour mettre en lumière certaines des questions relatives aux droits humains qui, selon notre organisation, doivent être résolues en priorité par votre gouvernement.

Nous comprenons que la priorité énoncée par votre gouvernement soit l'organisation d'élections locales et parlementaires n'ayant que trop tardé, mais l'État reste toutefois tenu de respecter et de promouvoir pleinement les droits humains pour tous en Haïti. De plus, notre organisation estime que s'attaquer en priorité aux questions décrites ci-après est crucial dans le contexte politique actuel et dans les circonstances relatives à la reconstruction après le séisme.

GARANTIR LE DROIT À LA LIBERTÉ DE RÉUNION PACIFIQUE

Ces deux dernières années, Amnesty International a eu connaissance d'un nombre croissant de cas d'usage excessif et injustifié de la force par les forces de sécurité – dont des casques bleus de l'ONU – pour disperser des manifestations, faisant souvent de nombreux blessés et parfois des morts. Des enquêtes ont été ouvertes dans certains cas, mais à notre connaissance, aucun agent de sécurité ou autre autorité n'a fait l'objet de poursuites pénales pour avoir participé à ces incidents.

Plus récemment, le 15 décembre 2014, à la suite d'informations selon lesquelles un homme aurait été tué et deux autres blessés après que la police et la force de maintien de la paix de l'ONU ont fait un usage excessif de la force au cours d'une manifestation à Port-au-Prince, notre organisation a demandé une enquête approfondie et impartiale, et des mesures pour prévenir d'autres exactions�.

Le nombre croissant de personnes tuées par la police, notamment au cours de manifestations, ainsi que l'absence d'obligation de rendre des comptes pour ces actes, préoccupent également le Comité des droits de l'homme des Nations unies qui, en octobre 2014, a recommandé aux autorités haïtiennes de mettre en œuvre sans délai des enquêtes efficaces sur toutes les exécutions commises par la police et de traduire en justice les auteurs de ces actes. Le Comité a par ailleurs recommandé qu'Haïti poursuive la formation des membres de ses forces de sécurité, afin de veiller à ce qu'ils se conforment aux Principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois�.

Amnesty International se félicite de votre engagement à « respecter le droit de manifester pacifiquement », exprimé lors d'une rencontre avec des diplomates des États-Unis le 21 janvier. Dans le contexte actuel d'instabilité et de dissidence généralisée, il est crucial que ces déclarations se traduisent par des mesures concrètes permettant aux victimes d'obtenir justice, et visant à tenir les auteurs de ces actes responsables d'atteintes aux droits humains et à prévenir de nouvelles violences.

PROTÉGER LES DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS

Amnesty International est préoccupée par les informations de plus en plus courantes faisant état d'attaques, de menaces et de harcèlement subis par des défenseurs des droits humains, dont des avocats, au cours de ces deux dernières années. Dans de nombreux cas, les actes étaient directement liés à leur travail de défense des droits humains. D'une manière générale, aucune enquête approfondie n'a été ouverte dans un délai raisonnable et les autorités n'ont pas su protéger efficacement et prendre un ensemble exhaustif de mesures pour que les défenseurs des droits humains puissent travailler sans craindre de représailles.

Comme l'a également recommandé le Comité des droits de l'homme en octobre�, le gouvernement doit prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les défenseurs des droits humains afin qu'ils puissent travailler sans crainte. Par conséquent, l'État haïtien doit mener sans délai des enquêtes exhaustives et efficaces sur toutes les allégations d'attaques, de menaces et d'intimidation prenant pour cible des défenseurs des droits humains, rendre publiques les conclusions de ces enquêtes et traduire les responsables présumés en justice.

Au vu du contexte politique sensible qui règne actuellement en Haïti, il est crucial de créer un environnement sûr et favorable permettant de défendre les droits humains sans crainte de représailles ni d'intimidation, conformément à la Déclaration sur les défenseurs des droits de l'homme (ONU).

GARANTIR L'INDÉPENDANCE DE LA JUSTICE

Amnesty International s'inquiète également que le pouvoir judiciaire haïtien soit loin d'être pleinement indépendant.

Malgré les espoirs suscités par la création du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ), les informations faisant état d'ingérence de la part du pouvoir exécutif auprès de la justice se sont poursuivies et, au contraire, semblent même avoir été plus nombreuses ces derniers temps.

Par exemple, en octobre 2014, des organisations haïtiennes de défense des droits humains et certains membres du CSPJ ont signalé que le ministre de la Justice avait ordonné la nomination, le transfert et le licenciement de nombreux juges sans accord préalable du CSPJ, comme le prévoit la loi. Le Comité des droits de l'homme des Nations unies a également exprimé son inquiétude à ce sujet en octobre 2014�.

Amnesty International est par ailleurs préoccupée par les arrestations arbitraires qu'auraient subies plusieurs personnes au titre de faux chefs d'accusation ou pour des raisons insuffisantes, et ce en raison de leur militantisme politique. La plupart de ces affaires contestées ont été traitées par le même juge d'instruction qui, selon des organisations haïtiennes de défense des droits humains, aurait été nommé illégalement à ce poste. Le manque d'indépendance affiché par ce juge dans la gestion de l'un des cas a conduit le Barreau de Port-au-Prince à lui interdire d'exercer la profession d'avocat pour 10 ans en 2013.

Les doutes portant à croire que de nombreuses personnes auraient été arrêtées arbitrairement en raison de leur militantisme politique ont été corroborés par la libération de plus de 20 militants politiques en décembre 2014, à la suite des recommandations émises par la commission consultative, chargée de proposer des mesures visant à apaiser les tensions. La commission consultative a appelé à « la libération immédiate, à travers le pays, des 'prisonniers politiques' qui n'ont pas été, à date, déférés devant leur juge naturel et un arrêté de grâce en faveur de tous ceux qui sont déjà engagés dans une instance judiciaire ».

Amnesty International se réjouit de l'engagement pris par le nouveau ministre de la Justice lors de son discours d'investiture, selon lequel « l'indépendance absolue de la justice » et « le respect scrupuleux et la protection de la personne humaine et des libertés fondamentales » seront prioritaires au sein de son ministère. Ces déclarations doivent maintenant être suivies par des mesures concrètes pour veiller à ce que le pouvoir judiciaire puisse fonctionner sans subir d'ingérence et que toute personne soit libre d'exercer ses droits civils et politiques sans craindre de représailles ou de vengeance.

PROMOUVOIR LE DROIT À UN LOGEMENT DÉCENT

Le 8 janvier, Amnesty International a publié le rapport intitulé « '15 minutes pour partir' : les violations du droit à un logement décent en Haïti après le tremblement de terre » (AMR 36/001/2015)�.

Tout en reconnaissant les défis considérables que pose le processus de reconstruction après le séisme, le rapport souligne que des centaines de milliers de personnes déplacées par la catastrophe sont toujours sans solution de logement durable.

Comme vous le savez, plus de 79 000 personnes vivent toujours dans des camps de fortune, dans des conditions extrêmement précaires. La plupart des personnes qui ont quitté les camps n'ont pas bénéficié de solutions de logement durables, en particulier celles qui ne possédaient pas de terrain ou de maison avant le séisme. Par conséquent, les problèmes de logement qui existaient avant le tremblement de terre ont été exacerbés et confortés.

Par ailleurs, les recherches d'Amnesty International montrent que les expulsions forcées de milliers d'habitants des camps de personnes déplacées, menées ou cautionnées par les autorités, ont eu des effets traumatisants sur une population déjà fortement éprouvée par le tremblement de terre. Si le nombre d'expulsions forcées dans le contexte des camps de personnes déplacées a reculé en 2014, les déplacements forcés se poursuivent avec la même ampleur dans d'autres contextes – en particulier dans le cadre des projets de reconstruction et de développement des infrastructures. La démolition de centaines de maisons et l'expulsion forcée de leurs habitants dans le centre-ville de Port-au-Prince en mai 2014 pour permettre la construction de bâtiments administratifs publics est un exemple flagrant de ce qui pourrait devenir une tendance croissante et inquiétante.

Notre rapport prend également note de la première Politique nationale du logement et de l'habitat, et de la volonté des autorités haïtiennes et de la communauté internationale d'explorer les possibilités susceptibles d'apporter des solutions plus durables pour les personnes déplacées, telles que la transformation de certains camps de personnes déplacées en quartiers et la régularisation de quartiers informels comme celui de Canaan. Cependant, le rapport précise que cette politique manque de précision dans des domaines cruciaux, tels que la manière de garantir à chacun la sécurité légale d'occupation de son logement et la façon d'identifier les personnes les plus vulnérables et de les aider à accéder à un logement décent.

Au vu de ces différents éléments, nous sommes convaincus que votre gouvernement doit prendre des mesures bien plus décisives pour s'attaquer aux questions du déplacement à l'intérieur du pays et du manque de logements décents, en mettant un terme aux expulsions forcées, en encourageant les initiatives qui offrent des solutions durables de logement pour les personnes déplacées et en facilitant l'accès à un logement convenable pour tous en Haïti, notamment pour les populations qui vivent dans la pauvreté.

Dans le rapport, vous trouverez un ensemble de recommandations spécifiques. En particulier, Amnesty International appelle votre gouvernement à :

Mettre immédiatement un terme à toutes les expulsions forcées en Haïti, y compris celles visant des habitants de camps de personnes déplacées.

Mener des enquêtes sérieuses, exhaustives et indépendantes sur tous les cas d'expulsions forcées et d'incendies ayant entraîné des expulsions, et veiller à ce que les responsables et les personnes impliquées soient traduits en justice.

Veiller à ce que toutes les expulsions, y compris celles menées dans le contexte d'expropriations pour cause d'utilité publique, se déroulent dans le respect des normes internationales relatives aux expulsions forcées.

Veiller à ce que les programmes de formalisation des camps de personnes déplacées et de régularisation des quartiers informels, tels que celui de Canaan, ne se traduisent pas par des expulsions forcées, offrent une sécurité d'occupation à tous les bénéficiaires, et prévoient des solutions permettant aux plus démunis et aux autres groupes vulnérables d'accéder à un logement décent.

Mettre pleinement en œuvre la Politique nationale du logement et de l'habitat afin de garantir l'accès à un logement décent, en particulier pour les plus vulnérables et les plus marginalisés, tels que les personnes vivant dans la pauvreté.

Je vous remercie d'avoir pris connaissance de cette lettre et j'attends avec impatience de recevoir votre réponse aux questions qui y sont soulevées et aux recommandations d'Amnesty International.

Veuillez agréer, Monsieur le Premier ministre, l'expression de ma haute considération.

Erika Guevara Rosas

Directrice du programme Amériques

�Haïti: les allégations d'usage excessif de la force lors de manifestations doivent faire l'objet d'une enquête approfondie, AMR 36/015/2014, � HYPERLINK "http://www.amnesty.org/en/library/info/AMR36/015/2014/en" �http://www.amnesty.org/fr/library/info/AMR36/015/2014/fr�

� Comité des droits de l'homme, Observations finales concernant le rapport initial d'Haïti, 31 octobre 2014, CCPR/C/HTI/CO/1, § 10.

� Comité des droits de l'homme, Observations finales concernant le rapport initial d'Haïti, 31 octobre 2014, CCPR/C/HTI/CO/1, § 19.

� Comité des droits de l'homme, Observations finales concernant le rapport initial d'Haïti, 31 octobre 2014, CCPR/C/HTI/CO/1, § 16.

� Disponible à l'adresse � HYPERLINK "http://www.amnesty.org/en/library/info/AMR36/001/2015/en" HYPERLINK "http://www.amnesty.org/en/library/info/AMR36/001/2015/en" HYPERLINK "http://www.amnesty.org/en/library/info/AMR36/001/2015/en" �http://www.amnesty.org/fr/library/info/AMR36/001/2015/fr�