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Une BRH soumise à l’Exécutif ?

thomas lalimeThomas Lalime Le gouverneur de la Banque de la République d’Haïti (BRH), Charles Castel, a donné le mardi 14 juillet 2015 l’une des conférences de presse les plus médiatisées de son règne de près de huit ans à la tête de la banque centrale. L’objectif était d’inviter les agents économiques au calme après que le marché des changes a montré des signaux évidents de surchauffe. Il a fait une affirmation qui inquiète les adeptes de la théorie d’une banque centrale indépendante. Nous y reviendrons plus tard. Mais regardons d’abord quelques points des interventions du Gouverneur la semaine dernière à la presse et au secteur privé des affaires.

Le Gouverneur dit partager à 80-90 % le diagnostic réalisé par les économistes et analystes en ce qui a trait aux causes de la décote de la gourde. Sauf quand ces derniers affirment que la BRH est impuissante à y faire face.

Évidemment, un gouverneur de banque centrale ne saurait affirmer à la presse que l’institution qu’il dirige fait face à une situation d’impuissance. Mais si l’on suit bien le déroulement de la conférence de presse, comme l’un des confrères journalistes l’a fait remarquer à M. Castel, le message paraissait clair : la BRH a fait tout ce qu’elle peut pour apporter une réponse conjoncturelle à un problème structurel qui, à bien des égards, dépasse sa compétence. Ou encore, les causes conjoncturelles de la décote de la gourde relèvent plutôt de la politique fiscale ou des décisions gouvernementales externes à la banque centrale. Peut-elle y résister ou s’y courber même si ces décisions ont des effets néfastes sur la valeur de la gourde ? Tout l’enjeu se situe à ce niveau.

 En fait, les interventions de la BRH ne peuvent pas résoudre le problème dans son essence. Elles visent à l’apaiser. Leurs effets seront probablement éphémères. Justement, le marché des changes s’est calmé la semaine dernière autour de 55,6 gourdes à l’achat et de 56 gourdes à la vente. Mais deux grandes questions  se posent : À quel prix ? Pour combien de temps ?

M. Castel est conscient que l’accalmie observée risque d’être de courte durée. Trois jours après sa conférence de presse, lors d’un déjeuner-débat organisé le vendredi 17 juillet à l’hôtel Montana par la Chambre de commerce haïtiano-dominicaine (AMCHAM) et l’Association professionnelle des banques (APB), il a confirmé qu’il maintiendra le rythme des interventions pour le reste de l’exercice fiscal en cours qui sera clos le 30 septembre 2015. Il prévoit d’injecter 175 millions de dollars américains sur le marché des changes durant cette période. Ce faisant, il continuera d’assécher davantage le stock de réserves nettes de change qui représente le principal indicateur de la puissance de la BRH et son meilleur indice de dissuasion à l’endroit des spéculateurs potentiels.

Le Gouverneur menace également d’augmenter les coefficients de réserves obligatoires jusqu’à 60 % sur les passifs des banques commerciales. Il est déjà fixé à 100 % sur les dépôts des entités publiques détenus dans les banques commerciales. C'est autant d’argent qui ne pourra pas être investi dans l’économie réelle. À titre de comparaison, le coefficient de réserves obligatoires est de 0 % au Canada où la banque centrale se propose de stimuler l’investissement privé.

Les interventions de la BRH (achat et vente de devises, augmentation du taux directeur et des coefficients de réserves obligatoires) demeurent des palliatifs. C’est comme si l’on venait d’administrer un tylenol à un patient souffrant d’un cancer. Cela peut soulager sa douleur un instant mais ne guérira pas sa maladie. Les interventions de la BRH s’apparentent à des analgésiques. Mais le patient souffrant du cancer, l’économie haïtienne, mérite un traitement intensif, une chimiothérapie. Il lui faut au moins deux médecins : la BRH et le Ministère de l’Économie et des Finances (MEF). Les soins non coordonnés d’un seul des deux seront inefficaces.

Le diagnostic du patient, admet le Gouverneur, a déjà été fait et bien fait. Tant sur le plan structurel que sur le plan conjoncturel. Au premier niveau, pour augmenter l’offre de dollars sur le marché local, il faut exporter davantage de biens et services et en importer moins. Nos voisins dominicains peuvent compter sur quatre principales sources d’entrée de devises : d’énormes investissements directs étrangers, d’importantes exportations agricoles et minières, un secteur touristique florissant et sa diaspora, beaucoup plus riche que la nôtre. Pour chaque dollar d’importation, les Dominicains exportent pour plus de 60 centimes contre moins de 30 centimes en Haïti.

Nos dirigeants misaient beaucoup trop sur les dons des organismes internationaux, comme s’il s’agissait d’une mine intarissable. L’instabilité et l’improvisation politiques ainsi que la faiblesse institutionnelle font fuir touristes et investisseurs étrangers. Complètement négligée par les autorités, l’agriculture a connu un véritable déclin au cours des dernières décennies.     

L’une des manifestations du cancer de l’économie haïtienne demeure donc le déficit de la balance commerciale. L’État haïtien n’a pas envisagé des séances de chimiothérapie ces 30 dernières années. Il s’est contenté d’administrer des analgésiques.

Il faut quand même admettre que ce n’est pas en une année, ni même en un mandat, que l’on pourra résoudre ce genre de problème. Mais le plus inquiétant, c’est que l’on n’a pas encore commencé. Ironie du sort, c’est en fin de mandat que le régime Martelly parle de l’agriculture comme priorité dans le prochain mandat. Après avoir échoué dans ses précédentes priorités.  

Conjoncturel vs structurel

Il faut comprendre que le conjoncturel d’aujourd’hui engendrera le structurel de demain. En ce sens que le déficit commercial actuel est le résultat de politiques fiscales et monétaires incohérentes adoptées au cours des 30 dernières années. En important l’essentiel des biens, voire des services (construction par exemple), on exerce une pression constante sur la gourde.

L’autre facette du cancer reste le déficit budgétaire financé en grande partie par la BRH. Depuis le gouvernement de transition, l’État haïtien s’était imposé une certaine discipline fiscale en limitant, pour ne pas dire éliminer les déficits budgétaires. On avait même connu des excédents budgétaires en 2006/2007. Radio Métropole (1) a fait état, le vendredi 24 novembre 2006, d’une rencontre tenue par le président René Préval avec les hauts fonctionnaires de l’État et les élus afin de trouver une solution à l’incapacité des ministères de présenter des projets viables. « Il avait voulu résoudre le problème des 25 millions de dollars bloqués dans les caisses de l’État», pour reprendre Radio Métropole.

Le régime Martelly a renoué avec le déficit budgétaire et le financement de la BRH à un rythme inquiétant qui occasionne la décote de la gourde. Pour le comprendre, il suffit de se demander pourquoi cette dernière a été déclenchée en ce moment précis alors que les problèmes structurels ne datent pas d’hier? Il faut d’abord résoudre le problème conjoncturel pour ensuite aborder les causes structurelles.

Le Gouverneur a montré ses muscles en pointant les 861 millions de dollars de réserves nettes de change disponibles. Mais, ce qui inquiète, c’est plutôt la chute brutale de ces réserves. Car, en mars 2015, elles s’élevaient à 921,7 millions de dollars américains. En septembre 2012, elles étaient encore plus importantes : 1,3 milliard de dollars américains. Une chute de 34 % en moins de trois ans s’avère insoutenable comme tendance. Les réserves s’épuisent trop vite.

Le gouvernement doit cesser de solliciter le financement de la BRH à ce rythme pour éviter une reprise de la décote qui forcera la BRH à injecter des devises sur le marché des changes de façon continue. À noter qu’en date du 8 juillet 2015, le financement net de la BRH au gouvernement s’élevait à 7,5 milliards de gourdes. À cette date, seulement 49,1 millions de dollars ont été transigés sur le marché des changes contre 137 millions un mois plus tôt.

 Le Gouverneur de la banque centrale inquiète beaucoup d’observateurs quand il affirme que la BRH n’est qu’un caissier de l’État et qu’à ce titre il ne peut que répondre favorablement aux sollicitations du pouvoir exécutif. Que ce dernier utilise le financement de la BRH pour payer les honoraires des rappeurs Chris Brown et Lil Wayne pour leurs prestations au Champ de Mars, pour célébrer les 14 mai ou réaliser de fastueux carnavals, c’est leur affaire.

Le Gouverneur et le vice-gouverneur ont utilisé une malheureuse analogie pour justifier leur point de vue en prenant l’exemple d’un épargnant qui dispose d’un compte dans une banque commerciale. Le caissier, indiquent-ils, n’a nullement le droit de l’interroger sur l’utilisation qu’il fera de son retrait.

C’est comme s’il n’avait jamais eu un débat académique et empirique sur l’importance de l’indépendance de la banque centrale dans l’efficacité de la politique monétaire. La BRH peut-elle être complètement soumise au pouvoir exécutif ?

Il est vrai qu’elle doit agir comme banquier et caissier de l’État comme l’a dit le Gouverneur mais elle exerce également le rôle d’agent fiscal de l’État. Elle doit alors se préoccuper également du niveau des recettes fiscales, donc du déficit budgétaire. De plus, si la BRH se plie à tous les caprices du pouvoir exécutif, ne manquera-t-elle pas à ces trois autres missions : 1) défendre la valeur interne et externe de la monnaie nationale; 2) assurer l’efficacité, le développement et l’intégrité du système de paiement et 3) assurer la stabilité du système financier.» La BRH décide-t-elle à partir d’une règle cohérente ou de façon purement discrétionnaire?

Le deuxième mauvais exemple fourni par le Gouverneur est le montant des réserves nettes de change en 2004 qui s’élevaient, dit-il, à 17 millions de dollars américains. Ces souvenirs cauchemardesques rappellent la période noire de la BRH que personne n’aimerait revivre avec un taux d’inflation de 44 % et une croissance économique négative. L’inflation du mois de juin 2015 atteint 8 % en rythme annuel et se rapproche de 2 % en rythme mensuel. Donc, si la tendance mensuelle se maintient, l’année prochaine, l’inflation dépasserait la barre de 20 %.

La période qui précédait la chute du président Jean-Bertrand Aristide le 29 septembre 2004 coïncidait avec une forte dépréciation de la gourde, comparable à ce que l’on a observé ces dernières semaines. On comprend qu’à cette époque le pays sombrait dans un véritable chaos politique. Mais aujourd’hui, on s’interroge encore sur les vraies causes conjoncturelles du dérapage du marché des changes.

Les fondamentaux de l’économie, affirme le gouverneur Castel, sont bons. Ils ne justifient donc pas la décote de la gourde. Du coup, cela renvoie le débat sur le déficit budgétaire, les anticipations pessimistes et les incertitudes politiques liées notamment à la période électorale. Une façon à peine voilée de renvoyer la balle dans le camp du gouvernement jusqu’ici muet sur la question.
 
Le gouvernement de transition et le régime Préval avaient compris l’impérieuse nécessité de renflouer les réserves nettes de change. N’était cette décision, avec des interventions ayant provoqué une chute des réserves nettes de change de plus 440 millions de dollars américains en moins de trois ans, la BRH serait déjà à bout de souffle. C’est cette importante manne que la BRH est en train d’épuiser. L’Exécutif, quant à lui, a déjà bousillé les fonds du PetroCaribe.

Haïti, comme à son habitude, choisit de fonctionner en dehors du débat sur l’indépendance de la BRH. Celle-ci doit être avant tout légale. Or, la loi semble confiner jusque-là la banque centrale dans une simple mission de guichet public. En Haïti, même s’il y avait  une indépendance légale, il faudrait penser également à l’indépendance effective. Cette dernière passe notamment par le mode de nomination du gouverneur, la durée de son mandat et les relations de la BRH avec le gouvernement, notamment le ministère de l’Économie et des Finances.

La politique monétaire ne saurait être efficace en absence d’une excellente cohésion et coordination avec la politique fiscale. Mais si la banque centrale n’est qu’un simple guichet de l’État, elle n’a qu’à recevoir ses ordres de décaissement. Point besoin de concerter et de coordonner.

Thomas Lalime
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(1) : http://metropolehaiti.com/metropole/full_une_fr.php?id=12004&action=print