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FMI, le gendarme des finances publiques en Haïti (Thomas Lalime)

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Par Thomas Laline, 19 Mars 2018 -- En pleine journée du dimanche 25 février 2018, le Fonds monétaire international (FMI) et le gouvernement haïtien ont donné rendez-vous à la presse pour annoncer la signature d’un accord sur un nouveau programme de référence (en anglais : Staff Monitored Program) entre les deux instances. Ce programme de six mois vise « à établir des piliers solides pour la stabilité macroéconomique et une croissance économique forte et durable sur le moyen terme». Le communiqué de presse précise : « Les réformes envisagées viennent renforcer le cadre financier et budgétaire en améliorant la mobilisation des ressources fiscales, en renforçant la viabilité financière de l’Électricité d’Haïti (Ed’H) dont les subventions importantes creusent le déficit budgétaire et en développent pour une gouvernance financière solide et transparente. [...] Le programme prévoit le contrôle du déficit du secteur public non financier et la mise en œuvre de politiques pour contenir l’inflation en dessous de 10 % dans le moyen terme.»

Il s’agit là d’un bref résumé de quelques points importants du communiqué de presse conjoint publié par le FMI et le gouvernement haïtien le 25 février 2018. Les termes du programme de référence proprement dits ne sont pas encore rendus publics. Mais, selon une source digne de foi, proche des deux partis, l’accord prévoit de limiter le déficit budgétaire à 2.4 % du produit intérieur brut (PIB) et le financement de ce déficit par la Banque de la République d’Haïti (BRH) à 1 % du PIB. Or, selon les données du ministère de l’Économie et des Finances (MEF), un « découvert » (pour reprendre le terme utilisé par le ministre) de 13,1 milliards de gourdes a été enregistré pour les 5 premiers mois de l’exercice 2017-2018. Au 30 septembre 2018, le montant du « découvert » sera autorisé à être appelé déficit budgétaire. L’important, c’est que ce découvert budgétaire atteint déjà la limite du déficit prévu en général par le FMI (13,1 / 551,9 = 2,37 %) pour toute l’année fiscale 2017-2018.

L’idée du « découvert » peut vouloir dire que le gouvernement essaiera de se rattraper d’ici à la fin de l’exercice en cours. La BRH a déjà financé le découvert enregistré jusqu'ici à hauteur de 9,1 milliards de gourdes, soit 1,64 % du PIB. Alors que la limite de 1 % du PIB prévue par le FMI s’élève à 5,52 milliards pour l’année fiscale en cours. Pour satisfaire cette exigence, il faudra que le gouvernement renfloue la Banque centrale avant la fin de l’année fiscale.

L’annonce de l’entente entre le FMI et le gouvernement haïtien a été bien accueillie par le secteur privé haïtien et les bailleurs de fonds internationaux. Ces derniers promettent déjà de délier les cordons de la bourse dans les mois à venir. On peut donc se demander pourquoi l’administration Moïse/Lafontant a attendu un an avant de signer une entente qui paraissait quasiment incontournable. N’a-t-elle pas raté beaucoup d’opportunités en attendant autant? Le programme de référence annoncé par le FMI et le gouvernement ne prévoit pas de support financier direct au gouvernement. Mais il constitue un signal de bonne gouvernance très valorisé par toute la communauté internationale. En situation économique précaire comme c’est le cas en Haïti aujourd’hui, FMI s’impose aisément en un véritable passage obligé. Un nécessaire gendarme des finances publiques.

Le programme de référence souligne qu’il y a une relation étroite entre la stabilité macroéconomique et la croissance économique forte et durable. La relation peut aller dans les deux sens. D’une part, l’instabilité macroéconomique réduit la probabilité d’avoir une croissance économique forte et durable. De l’autre, une croissance économique faible diminue les capacités de financement de l’État et réduit sa propension à œuvrer à la stabilité macroéconomique. Celle-ci est vue en termes de réduction de l’inflation, de stabilisation du taux de change, de réduction du déficit budgétaire, d’un très faible niveau du financement monétaire de ce déficit et du maintien d’un niveau de réserves obligatoires adéquates.

Les résultats ne sont pas reluisants pour aucun de ces indicateurs. À titre d’exemple, le programme prévoit un taux d’inflation ne dépassant pas 10 % à la fin de l’exercice, alors que l’on est au dessus de 13 % au début de l’année 2018. L’effort à réaliser s’avère colossal et peut engendrer des coûts sociaux et politiques. Et comme la majorité des postes budgétaires sont incompressibles, le FMI, à travers ce programme de référence, recommande au gouvernement de couper la subvention des prix des produits pétroliers et celle accordée à l’Ed’H. Il s’agit de deux mesures impopulaires que les gouvernements précédents avaient hésité à exécuter afin d’éviter le soulèvement populaire.

Concernant le maintien du déficit budgétaire dans une fourchette acceptable, les dirigeants doivent comprendre que le pays ne peut vivre indéfiniment au-dessus de ses moyens, en utilisant trop souvent le financement monétaire. Il doit trouver un équilibre entre ses ambitions, les réalités auxquelles il est confronté et les moyens à sa disposition. Cette rigueur et cette abnégation dans la gestion des finances publiques ne concordent pas toujours avec l’ambition de réélection des dirigeants qui courtisent trop souvent les bas instincts de la population à qui ils promettent monts et merveilles sans s’assurer au préalable de la disponibilité des moyens.

Le programme de référence s’étend sur une courte durée de 6 mois. Il n’est associé à aucun nouveau financement mais peut servir de catalyseur pour mobiliser des ressources financières d’autres partenaires internationaux à titre d’appui budgétaire. L’exécution efficace de ce programme peut conduire à un autre plus important intitulé Facilité élargie de crédit (FEC) qui sera assorti d’un montant de financement. Rappelons que le dernier programme avec le FMI remonte à 2015. C’était un accord au titre de FEC pour un montant de 49 millions de droits de tirages spéciaux (DTS), soit moins de 70 millions de dollars américains.

Le DTS est un actif international de réserve de change créé par le FMI en 1969 qui est utilisé comme réserves de change par les États membres. Il représente un prêt qu’un pays membre peut contracter auprès du FMI en fonction de sa quote-part au budget du FMI. Il est composé du dollar, de l’euro, de la livre britannique, du yen japonais et du yuan chinois depuis octobre 2016. Le quota total d’Haïti au FMI s’élève à 81.9 DTS.

L’accord au titre de la FEC prorogé en juillet 2013 prévoyait, entre autres, un programme de réformes structurelles qui avait les principaux axes suivants: i) une plus grande mobilisation de recettes intérieures, principalement grâce au renforcement des administrations fiscale et douanière; ii) l’amélioration plus poussée de la gestion des finances publiques et de la gouvernance économique; iii) le renforcement des capacités institutionnelles afin d’améliorer l’exécution et l’efficience des investissements publics; iv) l’amélioration de l’intermédiation financière et du secteur financier; et v) l’accélération des réformes pour améliorer le climat des affaires.

Près de 5 ans plus tard, le pays n’est pas vraiment avancé sur ces objectifs. À noter également que le taux d’intérêt des financements accordés au titre de la FEC est de 0 %, avec un différé d’amortissement de cinq ans et demi et une échéance finale de dix ans. Il s’agit d’une petite manne que l’on trouvera difficilement ailleurs. C’est l’une des raisons pour lesquelles les gouvernements des pays en développement ne renoncent pas aux financements du FMI même s’ils critiquent leurs conditionnalités. Le FMI revoit tous les deux ans les taux d’intérêt de toutes les facilités concessionnelles.

M. Christopher Walker du FMI s’était rendu à Port-au-Prince du 7 au 11 septembre 2015 pour passer en revue l’évolution économique et examiner le budget 2015–2016 avec les autorités. L’équipe des services du FMI comptait revenir à Port-au-Prince en novembre 2015 pour tenir les discussions sur la première revue de l’accord en faveur d'Haïti au titre de la FEC qui a été adopté et approuvé en mai 2015. Mais les changements politiques avaient retardé cette mission. Et depuis cette date, il n’y avait pas eu d’accord entre les deux parties. Le gouvernement pourra-t-il respecter ses engagements ?

Attendons la fin de l’exercice fiscal, le 30 septembre, pour avoir la réponse.

Thomas Laline
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Economiste
Source: LeNouvelliste

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