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Thomas Lalime: Le financement monétaire de la BRH a augmenté de 722 % en un an

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De 4,14 milliards de gourdes le 24 juin 2019, le financement monétaire du déficit budgétaire du gouvernement par la Banque de la République d’Haïti (BRH) est passé à 34,04 milliards de gourdes le 30 juin 2020. Il s’agit d’une augmentation de 722 % en un an. Et l’on ne peut pas attribuer cette hausse spectaculaire uniquement à la Covid-19, puisqu’au 31 mars 2020, le financement monétaire était déjà fixé à 28,8 milliards de gourdes contre seulement 3,96 milliards à la fin du mois de mars 2019, selon les Notes sur la politique monétaire des mois de juin 2019 et 2020 publiées par la BRH. Rappelons que l’État d’urgence sanitaire a été décrété le 19 mars 2020.

Parallèlement à ce niveau de financement record, le taux de change de référence, publié par la BRH, est passé de 93,03 gourdes le 28 juin 2019 à 119 gourdes le 28 juillet 2020, soit une dépréciation de 27,91 % de la gourde en 13 mois. Et ce n’est pas une simple corrélation entre le financement monétaire et la dépréciation de la gourde. La Banque centrale n’a jamais raté l’occasion de rappeler la relation de cause à effet qui existe entre ces deux variables macroéconomiques. Donc, le creusement du déficit budgétaire financé par la BRH aboutit nécessairement à la dépréciation de la gourde qui, elle-même, provoque une hausse de l’inflation.

C’est donc sans surprise que l’inflation est passée de 17 % en février 2019 à 23,4 % en mai 2020, selon les derniers chiffres publiés par l’Institut haïtien de statistique et d’informatique (IHSI). Les ménages ressentent donc dans leurs assiettes et dans leurs portefeuilles les conséquences du financement monétaire. Chez nos voisins dominicains, le taux moyen d’inflation était de 1,36 % en 2019 et inférieur à 1 % au mois de mai 2020, en pleine Covid-19.

« L’évolution combinée des recettes et des dépenses au cours du troisième a débouché sur un déficit de 8,1 milliards de gourdes, lequel a occasionné un financement monétaire de 4,14 milliards de gourdes », lit-on à la page 7 de la Note sur la politique monétaire publiée par la BRH en juillet 2019. Ce financement monétaire du déficit budgétaire par la Banque centrale avait atteint un montant de 3,96 milliards de gourdes au 28 mars 2019 contre 6,03 milliards de gourdes au 31 décembre 2018. Bien qu’il s’agissait d’un niveau de financement monétaire relativement faible, la note sur la politique confirmait qu’il avait provoqué des conséquences sur la dépréciation de la gourde. Imaginez maintenant l’impact d’un financement monétaire de 34 milliards de gourdes !

Jusqu’au mois d’octobre 2019, les dépenses publiques se rapprochaient plus ou moins des recettes publiques. D’octobre à décembre 2019, la recette mensuelle moyenne s’élevait à 6,5 milliards de gourdes. Cette moyenne passait à 7,23 milliards de gourdes pour le prochain trimestre et  retombait à 6,5 milliards pour le trimestre avril-juin 2020, selon les données du Tableau des opérations financières de l’État (TOFE) publiées par le ministère de l’Économie et des Finances (MEF). Les recettes étaient donc relativement stables. En revanche, les dépenses ont parfois explosé avec un pic d’environ 16 milliards de gourdes en décembre 2019 (voir graphique). Depuis cette date, qui coïncidait avec la fin de la période de « peyi lòk », le montant des dépenses se détache de plus en plus des celui de recettes publiques. La Covid-19 a bien élargi le fossé.

Selon la BRH, durant le troisième trimestre de l’exercice fiscal 2019-2020, les taxes et impôts perçus par l’État haïtien avaient atteint  un montant de 19,3 milliards de gourdes alors que les dépenses s’élevait à 46,9 milliards de gourdes. Si l’on considère les neuf premiers mois de cet exercice (du 1er octobre 2019 au 30 juin 2020), les recettes s’élevaient  à 61,1 milliards contre des dépenses totales de 106,9 milliards de gourdes, soit un déficit budgétaire de 45,8 milliards de gourdes. Le gouvernement a alors recouru à un financement de 34,04 milliards de gourdes au 30 juin 2020.

Va-t-il continuer à creuser le déficit budgétaire et le financer par la planche à billets au quatrième trimestre de l’année fiscale en cours ? On aura la réponse dans deux mois. D’ici-là, rappelons que le ministre de l’Économie et des Finances, Patrick Michel Boisvert, avait promis de ne pas dépasser le montant des 30 milliards de gourdes de financement monétaire prévu dans le budget 2019-2020.

Outre la dépréciation de la gourde, due en partie au financement monétaire record, la BRH pointe du doigt la baisse de l’offre alimentaire locale dans l’explication des pressions inflationnistes observées ces derniers mois. Fort heureusement, le pays a pu compter sur une hausse des transferts privés formels reçus de l’étranger. Ces transferts ont « affiché une croissance de 31% par rapport au trimestre précédent et de 27 % par rapport à la même période de l’an dernier », selon les autorités monétaires.

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Cette augmentation traduit tout simplement le fait que tous les compatriotes de la diaspora étaient obligés d’utiliser les services des maisons de transfert en raison de l’arrêt des vols internationaux. Elle ne signifie pas forcément une amélioration de la situation de la diaspora haïtienne ni une augmentation des revenus des bénéficiaires en Haïti. Au contraire, globalement, il peut y avoir une baisse des transferts en Haïti, comme en témoigne la rareté observée du numéraire en devise américaine.

L’insécurité, la Covid-19 et la saison cyclonique comme des épées de Damoclès

Pour la BRH, il ne fait aucun doute que la dépréciation de la monnaie nationale durant le troisième trimestre de l’année fiscale « résulte surtout d’une combinaison des impacts de la situation des finances publiques et des anticipations négatives des agents économiques ». Ces derniers, entrevoyant une détérioration de la situation socioéconomique, prennent toutes les décisions visant à limiter les conséquences. Aussi convertissent-ils leur épargne en dollars américains en vue de se protéger contre la dépréciation de la gourde.

Résultat : au mois de mai 2020, le processus de dollarisation du système bancaire s’est accentué quel que soit l’indicateur retenu. Par exemple, le ratio «dépôts en devises converties en pourcentage des dépôts totaux» est passé de 66,33 % au 31 mars 2020 à 69,05 % au 31 mai 2020. De même, le ratio « portefeuille de prêts nets en devises converties en pourcentage des prêts nets totaux » est passé de 55,93 % à 57,32% au 31mai 2020. Le pourcentage d’actifs en devises converties représentait 61,05 % au 31 mai 2020 contre 58,19 % au 31 mars 2019.

Outre le pouvoir d’achat des ménages, la hausse de l’inflation ronge aussi le profit des investisseurs. Il suffit de jeter un coup d’œil sur les taux d’intérêt bancaires sur les opérations en gourdes pour s’en rendre compte. Les taux d’intérêt moyens sur les prêts se sont établis à 15,87 % en mai 2020 contre 13,5 % en mars 2020, soit une hausse de 2,37 points de pourcentage. D’autre part, les taux d’intérêt moyens sur les dépôts à terme (DAT) se sont inscrits à 4,34 % en mai contre 4,95 % au mois de mars de l’exercice en cours. Il y a eu une augmentation, il est vrai; mais avec un taux d’inflation de 23,4 % l’an, la valeur réelle des rendements diminue.

Le scénario n’est pas différent pour les opérations en devises. Le taux d’intérêt moyen sur les prêts était de 10.13 % en mai 2020 contre 10,60 % à la fin du deuxième trimestre de l’exercice en cours, soit une baisse de 0,47 points de pourcentage. Du côté des taux sur les DAT en dollars américains, ils se sont chiffrés à 1,36 % en mai 2020 contre 2,21 % en moyenne au premier trimestre 2020, soit une baisse de 0.85 point de pourcentage. Ainsi, la marge d’intermédiation sur les opérations en dollars a atteint la barre de 8,77 % contre 8,39 % au deuxième trimestre 2020.

De quoi l’avenir de l’économie haïtienne sera-t-il fait ? La réponse, selon la BRH, dépend de trois facteurs majeurs : le climat sociopolitique avec comme corolaire la situation sécuritaire ; l’évolution de la pandémie du coronavirus ; et finalement la sévérité de la saison cyclonique avec son impact probable sur le secteur agricole.  Il s’agit de trois paris très risqués pour le pays. La fédération des gangs armés laisse perplexe quant à l’amélioration du climat sécuritaire avec des conséquences potentiellement néfastes sur le secteur tertiaire, en particulier le tourisme. Ces impacts sur les recettes publiques pousseront probablement le gouvernement à continuer à exiger le financement de la Banque centrale.

Concernant la Covid-19, des pays étrangers, y compris la République dominicaine, font face à une résurgence très inquiétante de la maladie. Les autorités haïtiennes espèrent échapper à un tel scénario qui pourrait ralentir les activités économiques, particulièrement l’arrivée de visiteurs, ainsi que la demande externe pour les exportations. En ce qui a trait à la saison cyclonique, elle peut sévèrement affecter la performance du secteur agricole ainsi que la disponibilité de denrées alimentaires sur le marché local. Le passage du cyclone tropical Isaias est un vrai signal qui ne laisse pas présager un lendemain rutilant de soleil.

Thomas Lalime
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Publié le 2020-08-03