Tout Haiti

Le Trait d'Union Entre Les Haitiens

Analyses & Opinions

Exit!

Quand, sur l’échiquier international, la Brasserie nationale d’Haïti tient haut l’honneur du pays avec notre bière « Prestige », nos brasseurs de politicaillerie, au Parlement, font le déshonneur de la République en tirant vers le bas son prestige. La décence mise en bière. Au-delà de la ratification méritée d’un jeune loup de la politique haïtienne comme Premier ministre – Laurent Lamothe s’est investi dans le processus corps, âme et poche aussi, peut-être – il s’agit d’un glissement de la démocratie représentative vers l’autoritarisme. La tendance est lourde et les démocrates doivent commencer à sérieusement s’inquiéter. Le Parlement haïtien est devenu le lieu où prennent forme, désormais, les assauts contre la démocratie. Si les sénateurs Simon Dieuseul Desras et Maxime Roumer ont déçu, c’est parce que beaucoup avaient cru voir en eux, pendant longtemps, des agents promoteurs de l’Haïti nouvelle et des remparts contre cette dérive du Parlement.

La 49e législature a mis la Constitution en veilleuse. Les vices politiciens ont délogé le droit. Nous ne savons plus quelle règle et quel principe président aux votes de nos sénateurs et députés. Le Sénat, avec son président actuel, M. Desras, a même mis au rancart ses propres règlements internes pour imposer l’arbitraire au pays. Les coups de force contre les lois de la République ne nous viennent plus du canon des fusils de nos soldats et officiers militaires, mais des sièges de nos élus parlementaires. Un déplacement de l’axe autoritaire qui brouille les pistes de l’observation critique et qui a pour effet de perturber durablement le processus d’institutionnalisation démocratique. Les citoyens sont comme désorientés. Aucun recours apparent et immédiat pour renverser la tendance, réparer les dommages et recentrer la transition démocratique. Rares sont ceux qui avaient vu venir cette corruption précoce de la démocratie représentative dans la période post-Duvalier. Le projet démocratique incorporait, implicitement d’abord et explicitement ensuite, une entité parlementaire et législative comme lieu de délibération et de légitimation des grandes orientations de l’Haïti libérée des exclusivismes dictatoriaux. C’est une conquête. Mais… paradoxe ! Notre Parlement, codépositaire de la souveraineté populaire et gardien de l’ordre constitutionnel, en vient à fonctionner, dangereusement et au grand dam des démocrates, comme un poison dans l’organisme d’une République aux veines ouvertes.

La menace parlementaire s’accompagne de l’insignifiance de plus en plus marquée de nos proto-partis dans le jeu politique. Leurs voix sont inaudibles. Ils n’ont aucune prise sur leurs élus au Parlement. Avec des partis et des parlementaires pareils, certains présidents et Premiers ministres semblent convaincus qu’ils peuvent se passer de toute forme de structure partisane permanente pour supporter leurs actions. Les allégeances sont mobiles et en recomposition constante. Les alliances ne durent que l’espace d’un vote négocié ou monnayé. Une vraie gageure que de croire qu’une correction démocratique et une refondation nous viendront demain de ces virtualités politiques.

Laurent Lamothe fait son entrée à la primature sur ses mérites d’entrepreneur politique efficace, sur ses capacités d’homme d’ouverture, et aussi sur les décombres d’un Parlement discrédité. Il donne l’impression du businessman agressif qui ne lésine pas trop sur les moyens lors d’une O. P. A. sur une entreprise convoitée. Si l’ambition frénétique du pouvoir et le désir légitime de servir son pays au plus haut sommet peuvent obstruer un instant le jugement, le jour viendra où la petite voix intérieure de M. Lamothe lui dira que trop de feux rouges ont été brûlés, trop de lignes bousculées et trop de codes piétinés dans son cheminement à pas de course vers la primature. Dommage que le nouveau Premier ministre et ses alliés aient négligé de fonder leur pouvoir sur la légalité constitutionnelle.

Il est quand même soulageant que le gouvernement ait un visionnaire de l’envergure de Lamothe comme capitaine. Il manquait de pareilles énergies dynamisantes et revitalisantes dans l’appareil gouvernemental. C’est un profil d’homme à même d’impressionner par ses réalisations quand il est en situation de se faire valoir. Vu les conditions troublantes et douteuses dans lesquelles il a été catapulté Premier ministre par un Parlement indigne, le pays est en droit d’attendre beaucoup de lui. Il a pour devoir de délivrer vite pour faire oublier les ratés exorbitants de sa ratification.

Le Sénat – ce Sénat ! – est délivré de dix de ses membres. La loi leur a montré l’exit. Malgré eux. Certains ont servi tant bien que mal leur pays. Ceux-là méritent d’être reconduits s’ils aspirent à un nouveau mandat. Mais beaucoup de ces sénateurs laisseront derrière eux le souvenir d’élus qui ont plus le sens des intérêts de leur portefeuille et de leur patelin que de ceux de la République. Ils ont contribué à faire du Parlement, par leur veulerie, une institution fantoche et avilie. Ils seront loin d’être regrettés. Leur héritage relève de l’innommable. Rien ne dit que leur départ annonce une renaissance du Parlement et une réorientation plus éthique de son action. Leurs tentacules sont tellement nombreux. Ils ont des émules dans les deux Chambres. Cet exit sert au moins à nous rappeler que les mandats ont un terme. Peut-être que cette dérive parlementaire en a un aussi.

Daly Valet
Source: Le Matin
10 Mai 2012