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La presse haitienne est le bras médiatique de la mafia locale

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A chaque fois que je prends la résolution d’écrire sur la presse en Haiti, je ne peux m’empêcher de penser à ces belles têtes qui se sont illustrées au fil des ans dans la presse haitienne. Dire que tous les journalistes qui pratiquent le journalisme en Haiti sont médiocres et méchants serait une critique non-fondée. Il y a de bons professionnels dans la presse en Haiti, mais ils ne sont pas nombreux et n’ont pas tous pignon sur rue. J’ai appris à respecter le courage de ces jeunes et de ces vieux qui ont sû résister au vent de l’argent facile et de la propagande mensongère à outrance. Je me suis inscrit à la Faculté des Sciences Humaines en Aout 1995 pour étudier la communication, mais en première année, j’ai suivi avec attention des ainés qui travaillaient comme journalistes ; j’ai eu un certain dégoût et j’ai décidé de faire marche arrière. J’ai opté pour le travail social. J’ai toujours rêvé de faire mes armes dans le journalisme, mais malheureusement les modèles que j’ai eus devant moi durant les années 80 et 90 se sont éteints. Un professeur m’avait dit que je suis trop franc et trop honnête pour être journaliste. Dans un premier temps, je n’avais pas compris ce qu’il voulait dire ; mais c’est à partir de 1997 que je me suis rendu compte que si j’avais pratiqué cette profession, je serais à l’heure actuelle voisin de Jacques Roche et de Jean Dominique dans l’au-delà.

 

La presse dans un pays joue le rôle de thermomètre. Elle sert à mesurer et à afficher la valeur de la température. Ici, on parle de température économique, culturelle, idéologique, politique et sociale. Ce n’est pas sans raison qu’on a l’indice du classement mondial de la liberté de la presse qui est un « outil de plaidoyer essentiel fonde sur le principe de l’émulation entre Etats. » Nous ne voulons pas faire un exposé sur le rôle de la presse ni des médias dans une société démocratique. Il y a des gens qui sont mieux placés que nous et qui sont de grands connaisseurs qui peuvent élaborer à fond sur ce sujet. En tant qu’observateur avisé et bloggeur qui opine sur des sujets vastes et variés, je suis interpellé du fonctionnement de la presse dans mon pays. « La presse est l’institution non gouvernementale la plus indispensable et la plus redoutable pour la démocratie – c’est du moins la conviction qui a longtemps animé les discours théoriques et politiques sur la place du journalisme dans les régimes modernes. Indispensable, car, dans des sociétés de grande taille, elle seule peut assurer la découverte et la circulation des informations, la diffusion et la confrontation des opinions, en un mot l’institution des conditions du débat public nécessaire à la formation des volontés individuelles des citoyens. Redoutable, car elle peut aussi, en déformant, sélectionnant ou escamotant ces informations et opinions, exercer une influence néfaste sur la formation de ces volontés. » J’invite mes lecteurs à lire ce texte de Charles Girard ayant pour titre : « De la presse en démocratie, La révolution médiatique et le débat public., https://laviedesidees.fr/De-la-presse-en-democratie.html »

Il y a une main cachée en Haiti qui a pour mission de « démantibuler » la presse et de réduire la profession du journalisme à une peau de chagrin. Le texte de Charles Girard que je viens de citer parle clairement du rôle de la presse dans le maintien de la démocratie et du débat public. Après le coup d’Etat de 1991, une vague de journalistes a laissé le pays. Entre 2000 à 2006, une autre vague a encore laissé le pays, ce qui a mis la presse à genoux. Trente ans et même vingt ans de cela, un journaliste était respecté en Haiti. Même quand ce dernier était formé sur le tas, il inspirait confiance et était respecté. Les jeunes journalistes étaient guidés par la noblesse du métier. Ils avaient le désir d’apprendre et de connaitre pour pouvoir mieux servir leur audience. On discutait des idées, on parlait d’idéologies. Malgré que la connaissance n’était pas aussi accessible comme elle l’est aujourd’hui, les journalistes faisaient de leur mieux pour meubler leur esprit. Ils étaient nombreux des journalistes qui étaient de fins intellectuels ; attention, je n’ai pas dit diplômés. Jusqu’à la fin des années 90, on ne pouvait pas dire que la presse était la caisse de résonnance des gouvernements. Les journalistes prenaient du recul et les patrons de médias étaient plus sérieux, plus honnêtes et plus soucieux de dire la vérité au grand public.

 

C’est à partir des années 2000, que la presse haitienne a décidé de se basculer vers le bas fond. La presse dans son ensemble a pris position en faveur des bourreaux traditionnels de la nation haitienne. Les patrons de médias n’ont pas eu la clairvoyance pour comprendre que la crise politique de 2000 à 2004 allait avoir des conséquences néfastes sur la corporation en général. Les instituts et les écoles qui formaient les journalistes ont fermé leurs portes et des médiocres ont pris d’assaut le métier. A partir de 2006, il était clair pour les plus avisés qu’Haiti était pris dans un étau et qu’il était quasi impossible pour ce pays de remonter la pente. Les journalistes plus ou moins compétents et honnêtes ont vite compris qu’ils ne pouvaient pas continuer à exercer le métier du journaliste en Haiti sans se souiller les mains, l’âme et l’esprit. Nous avons constaté un vide qui n’a pris que l’espace d’un cillement pour être comblé. Il a fallu seulement dix ans pour avoir ce bordel : des idiots arrogants et corrompus qui veulent faire croire à qui veut entendre qu’ils sont des directeurs d’opinions à prendre au sérieux. De 2012 à 2016, nous avons assisté à la mort de la presse haitienne par asphyxie. Aujourd’hui, nous faisons le deuil de cette presse. Je n’ai pas étudié la communication à la FASCH, mais j’ai étudié la linguistique et j’ai une licence en littérature comparée. Je me suis formé. Ecrire est une passion ; former, informer et éduquer est un devoir.

 

Les journalistes qui sont dans la trentaine peuvent ne pas être bien imbus de la réalité. Ils pèchent par ignorance. Mais ceux qui sont âgés de 40 ans et plus et qui choisissent de vendre leur micro et leur plume sont des assassins. La presse haitienne est en mesure de dire à la population ce qui se passe au niveau des trois pouvoirs et comment fonctionnent les institutions. Les stations de radios et de télévisions pullulent comme des champignons. Aucun esprit avisé ne peut croire que les médias vivent que de la publicité. Si dans le temps, les patrons de médias étaient des intellectuels, de respectables et respectés hommes d’affaires, des journalistes honnêtes et compétents. Aujourd’hui, nous avons affaire à une autre catégorie d’hommes : trafiquants de drogue, blanchisseurs d’argent, proxénètes, contrebandiers, arnaqueurs professionnels. Rares sont des patrons de médias qui sont des journalistes de carrière et qui continuent à suivre les règles déontologiques. Bann FM nan chaje ak radyo, men se sou dwèt ou ka konte sa k ap fè radyo tout bon vre. On devient propriétaire de média pour faire de l’argent dans la corruption et pour aider la mafia locale à désinformer la population. Je n’ai jamais parlé aux propriétaires de la Radio Kiskeya. Mais, je sais et ils savent que l’incendie de la Radio Kiskeya à la fin de l’année dernière était un incendie criminel. On peut compter sur les doigts d’une main, les stations de radio embrassant le juste milieu et qui informe la population à leur risque et péril.

 

Il n’y a pas de ligne de démarcation entre publicité, propagande et mensonge. A rappeler que la propagande n’est pas un concept péjoratif comme plus d’un le pensent. Jounalis yo pa bay nouvèl, men yo fè nouvèl. Fenomèn machann mikwo a ap vale teren. Les “machann mikwo” ont plusieurs caractéristiques en commun: 1- ils sont menteurs, 2- ils sont médiocres, 3-ils sont matérialistes et ont le goût du luxe et du lucre, 4- ils sont méchants et assassins, 5-ils n’ont pas d’état d’âme, 6-ils ne vivent que par et pour l’argent. Ti Will de Radio Cacique a fait école. Mais, je me demande si ces derniers savent comment Ti Will s’est éteint. Les émissions d’analyse politique ont le même format. Un arnaqueur ou quelques arnaqueurs invitent des abolotchos qui sont sur payroll du pouvoir en place, du Core Group et de la classe d’affaires pour discuter de charabias. Je me demande s’il y a des émissions en Haiti où le présentateur/animateur est assisté d’une équipe qui fait des recherches. En ce présent moment, nous faisons face à une insécurité rampante ; des chefs de gangs font la loi. Aucun journaliste ne se donnera pour tâche de faire un reportage exhaustif sur l’insécurité, le grand banditisme et la gangstérisation pour remonter les filières et trouver les vrais bandits. Les directeurs d’opinions les plus en vue connaissent tous qui importent, qui distribuent et qui vendent des armes à feu dans le pays ; mais aucun ne prendra le risque de donner des pistes.

 

Aujourd’hui, la presse haitienne agit à visière levée ; elle est le bras médiatique de la mafia locale comme les gangs en sont le bras armé. Il y a des journalistes qui auraient pu laisser le pays, s’exiler et qui font un travail noble ; mais la presse haitienne est mafieuse par essence. Les débats de fond sont esquivés. Puisque l’on pointe du doigt, il faut corroborer. Le Sénateur Jean Renel Senatus a fait une fuite en avant la semaine dernière pour dénoncer certains ténors de l’Etat qui sont de connivence avec des bandits de grand chemin. Le sénateur Senatus n’est pas un saint ; il est un élément du système mafieux. Mais, je ne comprends pas ce qui motive des soit disant journalistes à inviter des individus à discréditer le sénateur. Ce dernier a présenté des évidences et ceux qui sont indexés ont affirmé qu’ils sont partie prenante. Et, vous trouvez des travailleurs de presse à mettre en doute l’enquête réalisée par une commission sénatoriale. Il revient à la presse d’informer, d’investiguer et de pressurer les autorités pour faire la lumière sur les dossiers. C’est cette même presse qui cherche à faire le « kase fèy, kouvri sa. » Le temps où les journalistes haitiens acceptaient de s’immoler pour la patrie est révolu. Jean Léopold Dominique, Jean Brignol Lindor et Jacques Roche sont les derniers des Mohicans. Les « machann mikwo » sont sans gêne. Le pays est pris en otage par une mafia locale rattachée à une mafia internationale. Qui dit mafia, dit : trafic de la drogue, trafic d’armes, trafic d’organes, trafic humain, trafic d’influence, corruption, assassinats, etc.

 

Les directeurs d’opinions indiquent aux autorités, au pouvoir judiciaire comment les dossiers doivent être traités. Il n’y a aucun respect de l’intelligence et de la parole donnée. Les journalistes appellent les bandits pour les interviewer tout en se faisant les porte-parole de ces derniers. C’est malheureux que les médias qui devraient être des institutions crédibles sont pris en otage par des racketteurs professionnels avec la complicité des patrons de médias. Comment va-t-on s’y prendre pour porter ce peuple à atteindre un niveau de conscience élevé pour le porter à reconnaitre qu’il est dans la merde jusqu’au cou et qu’il doit se réveiller ? Est-ce que j’ai diffamé contre la presse et les journalistes ? Un journaliste ne peut pas claironner qu’il est l’ami d’un bandit. Un journaliste ne peut pas faire étalage de ses richesses alors que nous savons que le métier ne nourrit pas son homme. Sans une presse libre et vibrante, Haiti ne peut pas sortir du trou dans lequel il se trouve. La prise de conscience qui doit avoir lieu pour permettre à ce pays de sortir de l’ornière du marasme doit se manifester d’abord à travers la presse. Vous pouvez censurer comme bon vous semble, vous pouvez combattre les esprits libres, mais la réalité demeure en entier : la presse haitienne comme elle se présente aujourd’hui est un cancer pour Haiti. La presse haitienne est au lit avec la mafia locale, les gangs et les ennemis déclarés de la nation. Des autoproclamés bandits légaux qui devraient être en prison sont plébiscités par la presse. La presse devrait être le porte-étendard des idées novatrices, libératrices et transformatrices. Malheureusement, c’est la presse qui abrutit le peuple. Nous continuerons à verser des larmes sur le cadavre de la presse haitienne jusqu’à ce que le Fils de l’Homme décidera à la réveiller de son sommeil de mort comme Lazarre qui a été ressuscité. Tant vaut la presse, tant vaut la nation ! Honte à vous, « machann mikwo ».

 

Kerlens Tilus 05/06/2019
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