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Krèk Koko: une superstar adorée

krek-koko-caraibesKrek Koko en direct au micro de Radio Caraibes

“Ne dépouille pas le pauvre, parce qu'il est pauvre, Et n'opprime pas le malheureux à la porte; Car l'Eternel défendra leur cause, Et il ôtera la vie à ceux qui les auront dépouillés.’’(Proverbes 22 v 22-23)

Krèk koko de son vrai nom Philomène Deryl est une comédienne haïtienne qui, depuis plus de deux années fait la une sur les réseaux sociaux. Elle est née à Port-au-Prince le 30 Mai 1960 d’une mère originaire des Cayes. Elle a quasiment passé toute sa vie dans le département de l’Ouest. Ce n’est qu’en 2015 que des chroniqueurs culturels comme Junior Rigolo de la RTVC ont commencé à donner de la visibilité à cette dame qui suscite le fou rire chez ses admirateurs. Elle est très mince, de teint foncé ; elle s’autoproclame : Makak, une façon pour amuser ses nombreux fanatiques. Bien qu’elle ne soit pas une beauté qui fait rêver, elle détient des qualités extraordinaires qui pallient à son manque d’attraction physique.

Ce qui m’attire le plus chez le personnage Krèk Koko c’est le naturel avec lequel elle s’exprime. Elle raconte sa vie faite de peines et de misères. Fille de joie dans sa jeunesse, elle raconte comment elle a été martyrisée par certains hommes. Elle raconte comment elle a vécu la vie de trottoir durant la belle époque. Elle raconte sa vie de miséreuse et de quémandeuse ambulante. D’ailleurs son surnom Krèk Koko est issu d’une confrontation avec des hommes qui l’ont harcelé au Champs-de-Mars et qui voulait l’abattre pour le seul crime qu’elle se tenait affamé sur le pavé et les observant vivre la belle vie. Krèk Koko exprime à travers ses blagues son vécu qui charrie la réalité de dizaines de milliers de jeunes femmes et d’adultes qui se prostituent pour pouvoir gagner leur vie, s’occuper de leurs enfants. Qu’est-ce-que la vie et le phénomène Krèk Koko peut nous révéler de la réalité haïtienne ? Je veux, à travers cet article rendre hommage à une femme forte et sensible vivant dans une société inégalitaire. Je veux faire ressortir le plaidoyer qu’elle fait en faveur des femmes victimes de violence et comment à travers le rire elle essaie de peindre une société injuste et en déchéance.

Krèk Koko donne l’aspect d’une personne traumatisée, un peu folle c’est-à-dire qui est atteinte de troubles mentaux. Mais, à bien entendre la comédienne, on se rend compte que ce sont les traumatismes qu’elle a vécus qui montent en surface de temps à autre et le porte à exprimer sa douleur. Des fois elle arrête de rire pour pleurer. Tous ceux qui visionnent ses vidéos en ligne peuvent attester de sa sensibilité et de son empathie pour les faibles, surtout les femmes abusées. Krèk Koko avance qu’elle a fait le moyen 2, mais quand elle s’exprime on peut voir qu’elle a un niveau appréciable. Elle jongle le français, elle chante en espagnol et s’efforce de dire quelques mots en anglais. Dans une société moins inégalitaire qui offre des opportunités à ces citoyens, elle aurait pu être n’importe quoi puisqu’elle fait montre d’une intelligence remarquable. Derrière les blagues et le drôle de Krèk Koko se cache des réalités traumatisantes et déboussolantes. Philomène Deryl est bel et bien un artiste qui dépeint une réalité qui fait mal, une réalité que nos dirigeants évitent, une réalité qui mérite d’être appréhendée et corrigée. Combien de jeunes femmes en Haïti qui, par besoin se livrent à la prostitution ? Combien de jeunes femmes qui ont des talents innés et qui n’arrivent pas à éclore dans cette société haïtienne dirigée par des inconscients et des affairistes ? Combien de jeunes femmes qui sont bien portant, désireuses d’actualiser leur potentiel et qui sont reléguées à l’arrière-plan de la prostitution, de la misère ? Les blagues de Krèk Koko ne sont pas du tout chastes, elles choquent ; mais elles décrient ce qui se déroule sous nos yeux dans l’indifférence générale.

Krèk Koko représente des millions de femmes haïtiennes mères célibataires qui subissent toutes sortes d’humiliation pour élever leurs progénitures. Il y a une certaine hypocrisie et non-sens dans le phénomène Krèk Koko. N’oublions pas que nous vivons en Haïti à l’ère du vide, du bodègèt et du chawa pete. Krèk Koko est adulée parce qu’elle est bouffonne. Elle dit les choses de façon crue et elle n’a pas peur de déranger. Je me demande si ceux qui le supportent ou qui lui donnent de la visibilité réalisent qu’elle est la voix ou l’ambassadrice d’une multitude de femmes se livrant à la prostitution, battues, humiliées journellement et vilipendées. Krèk Koko est très amusante et mérite bien son statut de comédienne, mais ses blagues devraient nous porter tous à réfléchir sur la condition humaine en Haïti, et surtout sur la condition des filles et des femmes. C’est le moment de se questionner sur l’utilité des organisations de femmes et du Ministère de la Condition Féminine. Depuis quelques mois, le Sénateur Jean Renel Senatus fait un plaidoyer pour la création d’un ministère de la famille pour promouvoir la famille, le vivre ensemble, les valeurs morales et les principes universels qui sont à la base de toute société viable. Je l’encourage dans cette démarche. Nous devons porter un regard bienveillant sur le zokikisme, le viol collectif qui est répandu dans le pays, les activités ti sourit, bodègèt et chawa pete. Nous ne pouvons pas continuer à accepter la vague de jeunes qui laissent le pays pour se réfugier au Brésil, au Chili, à St Domingue et dans les Caraïbes.

Les politiciens et les responsables d’Etat qui s’amusent à dépouiller les pauvres et opprimer les malheureux doivent savoir qu’il y a un jugement dernier. J’encourage mes lecteurs à visionner les vidéos de Philomène Deryl dit Krèk Koko sur Youtube. Il faut aller au-delà de la grivoiserie et des mots ronflants qui les caractérisent. Krèk Koko a beaucoup à enseigner à cette société de faire-semblant qui est construit sur le vide. Pour avoir survécu ces moments difficiles et jouir d’une certaine popularité au sein de la population haïtienne, surtout du département de l’Ouest, Krèk Koko mérite notre appréciation. Je souhaite que ses publicistes puissent utiliser son parcours pour pointer du doigt certaines tares sociales, les injustices qu’elle a subies, et que nombre continue à subir. A ceux qui croient que la comédienne n’est qu’un vulgaire personnage, je leur dis de se ressaisir et d’être plus attentifs à sa démarche. Nous avons beaucoup à apprendre de cette dame dans la cinquantaine qui a mené bien des guerres et qui est toujours debout. Je salue son courage et sa détermination à vivre la vie même dans l’incertitude. Je dis un grand merci à ses animateurs d’émissions culturelles qui donnent de la visibilité à ce personnage et a tous ceux et celles qui le supportent d’une façon ou d’une autre. J’ai une pensée spéciale pour toutes ces femmes qui sont obligées de se prostituer, faute d’opportunités et aussi à ces millions d’Haïtiens qui vivent dans la précarité, faute de dirigeants responsables capables de proposer des politiques publiques viables. Longue vie à toi Krèk Koko, ton travail est apprécié !

Kerlens Tilus 02/20/2017
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