Tout Haiti

Le Trait d'Union Entre Les Haitiens

Analyses & Opinions

Pour que les « larmes de la pauvreté » changent de visage!

hamburg-2017 g20-germany-protest touthaitiHambourg Allemagne: Manifestation contre les pays du G-20 (2017)

« Après l’anéantissement des ennemis armés, il y aura encore des ennemis non armés; ceux-ci ne manqueront pas de mener une lutte à mort; nous ne devons jamais les sous-estimer. Si nous ne posons pas maintenant le problème de cette façon, nous commettrons les plus graves erreurs. Â»  (Mao Tsé-toung)

Par Robert Lodimus --- Le héros de Stendhal dans Le rouge et le noir, Julien Sorel, dans la bouche de l’acteur français Gérard Philippe, demande à son bienfaiteur, l’abbé Pirard … : « Qu’est-ce-que je dois faire, selon vous? Mordre ou me laisser manger? Â» Le directeur du séminaire qui, à la demande du curé Chélan, l’a pris sous son bonnet venait de lui faire remarquer qu’il séjournait dans une colonie de loups : un milieu religieux austère, redoutable où l’hypocrisie et la discrimination sociale s’arcboutent aux murailles d’une humilité apparente. D’une fausse modestie. Comme pour le Pâris d’Homère, la passion incontrôlée, le vice adultérin conduisent Julien Sorel à sa perte. Cependant au cours de son procès, le jeune homme de 23 ans critique courageusement et éloquemment cette société qui le condamne sur la base de son appartenance familiale et de son origine rurale, refusant de prendre en considération les efforts physiques et intellectuels qu’il a déployés en vue d’occuper une « place honorable Â», d’exercer une « fonction noble Â» au sommet de l’État, de servir valablement son pays comme n’importe quel citoyen respectueux, respectable et respecté. Mais il n’était pas réservé à un rude campagnard de parler et d’écrire sans faute le « latin Â» du Vatican, de dire la « messe Â» pour les « bourgeois Â», voire de mériter les sentiments idylliques d’une reine, d’une princesse, d’une duchesse, d’une marquise ou d’une comtesse. Ce qui est jusqu’à présent considéré comme un « crime gravissime Â». Julien Sorel le crie lui-même dans l’enceinte du tribunal, devant ses juges iniques, aux yeux des nobles, des aristocrates corrompus et aux oreilles des bourreaux du système : 

« Je ne demande aucune grâce! Surtout pas à vous Messieurs! Mon crime est atroce. J’ai tiré deux coups de pistolet sur la plus noble et la plus adorable des femmes, sur Madame de Réal qui a été pour moi comme une mère. J’ai mérité la mort. Mais ce n’est pas pour ce crime là que vous allez me condamner. Mon vrai crime pour vous, c’est d’être né dans une classe inférieure. Et, surtout, d’avoir voulu en sortir. En me faisant couper la tête, vous punirez ces jeunes gens qui sont nés dans la pauvreté, qui ont eu la chance ou le malheur de recevoir une bonne éducation, une insolence de se mêler à ce que l’orgueil des riches appelle la société. Nous nous sommes déjà rencontrés cent fois dans la rue. Vous et vos parents, je vous connais tous par vos noms. Mon père a travaillé pour vous, et cela, vous ne pouvez pas me le pardonner. Mais regardez-vous : pas un seul ouvrier parmi vous, pas un seul paysan, rien que des bourgeois indignés… Et il y a de quoi… Oui, j’ai voulu être l’un des vôtres, moi un fils d’ouvrier ! Â»

C’est aussi notre histoire

La République d’Haïti doit être considérée comme le « Julien Sorel Â» des États occidentaux. Ceux-ci ont décidé péremptoirement qu’elle n’a pas sa place dans le « monde Â» prétendument « libre Â» et « civilisé Â». Comme l’évêque Pirard l’a fait pour son protégé, l’abbé Grégoire s’érigea en défenseur de la patrie dessalinienne. Malgré tout – comme on le constate – Sorel n’échappe pas aux flammes dévorantes de la fatidicité d’une vie bouleversante et instable. Faudrait-il prévoir la destinée de ce pays à travers le dénouement tragique du récit dystopique stendhalien? Dans la conception de l’aryennisme absurde, dans la mentalité du ségrégationnisme bestial, l’espèce haïtienne est considérée comme un cheptel   de « sous-humains Â» créés pour porter les litières des « blancs Â» aux yeux d’indigo. Les États-Unis, la France, l’Angleterre, l’Allemagne refuseront toujours qu’elle siège parmi les nations privilégiées. Ils feront tout ce qui est en leur pouvoir pour que les filles et les fils des « esclaves Â» restent et demeurent des « esclaves Â». Le crime de l’État haïtien, c’est d’avoir voulu être l’un des leurs, en écrasant l’armée française pour abolir l’esclavage sur les terres de Saint-Domingue et pour redonner à ce pays son nom originel.

La France, engoncée dans son orgueil napoléonien, n’a pas oublié, n’oublie pas, et n’oubliera jamais d’avoir été contrainte de s’agenouiller devant des « Nègres Â» monumentaux en agitant un drapeau blanc : symbole de la défaite, de la capitulation, de l’impuissance, de l’humiliation… En voulant faire périr Haïti, les « seigneurs Â» des continents terrestres cherchent à sempiterniser, à perpétualiser la « servitude Â» des pays dominés. Ainsi, Martinique, Guadeloupe, Guyane, Jamaïque, Écosse, Irlande du Nord… conserveront leur statut de territoires d’outre-mer rattachés aux États coloniaux. Sorel, progéniture ambitieuse de la paysannerie est décapitée à l’aube du jour naissant. Le pays héroïque né sur la Place d’Armes des Gonaïves suivra peut-être les traces de l’« eschatologie sorélienne Â». Comme pour « Les Mohicans Â», y aura-t-il « Le dernier des Haïtiens Â» qui aura crevé dans une « réserve misérable Â» découpée dans les terres arides du nord-ouest? Et le récit dramatique d’Haïti aura servi probablement à rédiger des ouvrages palpitants qui seront nobélisés, à réaliser