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Le droit à l’avenir : l’initiative Xaragua 2030 (5 de 5)

drapeau etat meridional 1810 xaraguaDrapeau Etat Meridional 1810

par Alin Louis Hall  --- Si toutefois il existe une pensée haïtienne, elle n'a pas pu orienter le débat encore moins articuler  les idées pour la création de pôles de croissance régionale pour métamorphoser des villes coloniales en villes modernes. Notre façon de rationaliser l'absurde qui découle de la pédagogie coloniale met à nu la nécessite de bonnes sessions de thérapie de masse. Pour démontrer preuve leur sens de la répartie, ils  se placent entre les pourris et  les ripoux jusqu'à donner l'impression que la terre risque de s'arrêter de tourner. Ainsi, s’explique-t-on cette réponse passe-partout lorsqu’il s’agit de parler de leur(e) candidat(e): « il (ou elle) est le (la) meilleur(e) des pires en ce moment! Â» Que peut-il avoir de meilleur dans le pire? Au lieu de se demander trop souvent  « où avons-nous déniché ces candidats? Â», la question la plus pertinente doit être  « où avons-nous trouvé ces votants ?»  

papier monnaie 2e etat meridional 1868  xaraguaPapier Monnaie 2e Etat Meridional 1868

En attendant que le prétendu remède que le peuple s’est fait prescrire s'avère une autre arme de destruction massive, la  désillusion viendra vite confirmer que nous ne faisons que changer le ruban du paquet cadeau empoisonné. Avec des sondages qui ne valent même pas le papier sur lequel ils sont imprimés, ce ne sont jamais les votes qui comptent le jour du scrutin mais ceux qui comptent les votes. Les élections haïtiennes ne sont jamais des occasions de reculer pour mieux sauter. Au contraire ! Le président haïtien est toujours le symbole de la société coloniale sans sanction qui pérennise le complot des créoles « noiristes Â» et « mulatristes Â» contre les « bossales Â».  Comparaison n’est pas raison. Tout comme l’illustre Joseph Anténor Firmin, plutôt contrer les chiens couchants et mourir en exil que faire un clin d’œil au statu quo. Encore moins aux  poupées gonflables de l’Empire. Que l’on se rappelle de l’assistance de l’administration de Richard Nixon lors de la présentation de la république héréditaire sous les fonts baptismaux en 1971. Pour la circonstance, les instructions de l’ambassadeur américain aux Forces Armées d’Haïti furent formelles : « plume ne grouille devant le Palais National. Â»

S’il est bien vrai qu’avec de tels pays dits « pays amis Â» il devient aisé de mieux cerner pourquoi le futur se conjugue au passé,  il faut toutefois se résigner à se tourner vers la pédagogie du dernier carré de l’absurde : « depi tête ou komansé ap travay sèké ou komansé travay Â» - « najé pou'n soti Â» - « leu'w prezidan wa kompran Â» - « est-ce que ça dérange? Â». Ainsi s’explique-t-on, en quatre phrases, la déresponsabilisation assumée et la culpabilité partagée au plus haut niveau décisionnel. La léthargie brille sur l’inertie. La stagnation triomphe dans l'immobilisme. Néanmoins, l’expression proverbiale « woch nan dlo pral kon doulè woch nan soleil Â»  mérite qu’on s’y arrête en tant qu’elle représente un nÅ“ud gordien qu’on n’arrive pas à dénouer depuis le lendemain de la bataille de Vertières. Le nerf de la guerre ! Pour créer la richesse, il faut d’abord comprendre comment la créer afin de trouver la formule qui arrose les "woch nan soleil" et protège les "woch nan dlo". En clair, la nécessité d’élargir la classe moyenne. Une expression à haute tonalité politique en Haïti tandis qu’aux Etats-Unis elle n’a qu’une consonance fondamentalement économique dans le sens keynésien. Les « satellites Â» haïtiennes (économique-politique-intellectuelle)  savent tout du New Deal de Roosevelt mais rejettent toute idée d’un nouveau contrat social. Depuis la promulgation la constitution de 1801 de Louverture.

Que c’est triste de constater que nous nous retrouvons à l'intersection des deux axes de la société haïtienne: le déni horizontal de réalité et le mépris vertical entre les classes sociales. Les dépositaires du statu quo et les thuriféraires de la subalternité doivent se résigner à perdre deux doigts. Sinon, ils finiront par perdre au moins un bras. Le pire est à venir si nous nous persistons à pérenniser cette société coloniale sans sanction. Pour certains, Haïti n'existe que dans un petit coin obscur de leur cerveau. Pour d’autres, une rumeur ou une plaisanterie de mauvais gout. Notre vision du monde, de nous-mêmes, de l'autre...c'est là qu'il faudrait commencer. Pour mieux appréhender la dynamique du recul permanent, il n’y a pas mieux que cette cinglante réplique de Jean-Pierre Boyer Bazelais à Pierre Théoma Boisrond-Canal : « Soie pa ka fè doublure pou sak kolet. Â» D’une actualité déroutante ! Pour dire les choses autrement, la bonne gouvernance commence par la gouvernance de soi. En l’occurrence, l’autolimitation.

Avec le coup d’état électoral du général Kébreau en 1957, Haïti a pris un mauvais tournant. Dans la Plaine-du-Fond des Cayes, l’industrie des huiles essentielles, (vétiver, citronnelle, etc.) avait connu un essor extraordinaire sous l’impulsion de l’agro-industriel Louis Déjoie. Le résultat frauduleux des joutes de 1957 ouvrit un nouveau chapitre de négation de la péninsule du Sud qui culmina avec le cyclone Cléo (24 aout 1964). Face au déni  du gouvernement de François Duvalier, la ville des Cayes, détruite à 90%, se mobilisa pour reconstruire. A rappeler que jusque dans les années 1970, la production des huiles essentielles représentait une industrie importante. Malheureusement, l’établissement d’une agence gouvernementale dans les années 1970, l’Office de Commercialisation des Essences Aromatiques, freina considérablement la croissance de cette industrie. L’industrie sucrière ne fut pas non plus épargnée. Avant d’en faire la concession à un exilé cubain de la famille Dominguez, magnat du rhum, Duvalier nationalisa l’usine sucrière qui fut rebaptisée Centrale Dessalines. Aucune mesure de redressement ne fut envisagée jusqu’à date pour corriger les tendances qui anticipaient l’extinction de cette industrie. Il convient ici de rappeler que la classe moyenne de la région n’a pas survécu à l’anéantissement des filières traditionnelles et à la fermeture des usines sucrières des Cayes, de la Beurrerie du Sud, et de la Facolef. (3)

zone economique speciale  xaraguaZone Economique Speciale La  péninsule du sud a ainsi connu de grandes mutations, liées particulièrement aux désastres naturels aussi bien qu’au « rétrogradage Â» programmé. Un déni et un mépris reconduits par les cinq E muets du gouvernement Martelly-Lamothe. Son devenir, son dynamisme, le développement de ses communes et, par conséquent, la qualité de la vie des péninsulaires exigent une action rapide et concertée. Néanmoins, pour être efficace, toute  action doit être inscrite dans le temps et  guidée par une vision stratégique à long terme. S’attaquer à ces changements nécessite donc une vision d’ensemble du territoire de la péninsule et de son développement. Aux dernières estimations, le Ministre de l’Economie et des Finances confirme ce que les analystes américains avaient déjà annoncé. Selon Bob Bryan du journal « Business Insider Â», en termes d’échelle par rapport à l’économie américaine, si les Etats-Unis avaient subi les mêmes dégâts de l’ouragan Mathieu en Haïti, les pertes couteraient l’équivalent de $ 2,000 milliards. (4)  Soit 11.4% de l’économie américaine. Cependant, au regard des chiffres conservateurs avancés par le Ministre Bastion, soient près de  $ 2 milliards, l’ouragan Mathieu a en fait anéanti près de 25% de l’économie haïtienne tenant compte d’un PIB de 8.88 milliards  et d’un taux de croissance de 1.5% en 2015.

Avant le cyclone, il importe de rappeler que la péninsule du sud était le principal grenier d’Haïti. A elle seule, elle représentait 85 % de la production nationale de maïs, 37 % de la production fruitière nationale, 34 % des bovins, des porcs et des chèvres du pays, et 30 % des poulets, canards, dindes, poules et pintades. « Chaque année, les exportations de la péninsule, rien que pour la filière "huiles essentielles", représentent au moins 25 millions de dollars américains. Pour dire les choses autrement, la ville des Cayes est la capitale mondiale du vétiver. Malgré un enclavement prononcé, les activités économiques dans la péninsule du Sud restent dominées par l'agriculture et l'élevage. Â» (5) Avec la note salée de l’ouragan Mathieu, les déficits jumeaux continueront à augmenter et les Haïtiens doivent désormais se faire à l’idée d’un taux de croissance négatif avec une inflation à deux chiffres et une forte appréciation de la devise étalon. Bonjour misère, famine et pauvreté. Quant à la croissance économique et au développement durable, rideau !   Par ces temps d'extrême privation, avec un ratio policier/population parmi les plus faibles de la région, comment à échapper à l'implosion ? Tous les dangers sont amplifiés avec cette explosion démographique. « Pep Ayisyen mizè pa'w pozé Â». Dans un contexte pareil, les péninsulaires représentent un enjeu de premier plan, en tant qu’ils forment  la pierre angulaire par laquelle s’incarne toute chance d’un avenir partagé. Se porter à la hauteur de cette responsabilité implique une mobilisation plus résolue avec des signataires convaincus. Aux forces de l’immobilisme, ils doivent s’opposer par une action publique, ouverte à toute personne, sans distinction ni exclusive, qui souscrit aux engagements nécessaires pour un dégager un nouvel horizon à l’espoir. Une telle conviction forte doit insuffler le recadrage de la pensée et animer toute démarche de renouveau.

Durant les dernières décennies  se sont manifestées de fortes aspirations. La reconnaissance de notre culture, l’officialisation du créole, l’affirmation de notre identité, et la revendication d’une société juste et équitable ont inspiré des actions comprises et partagées par tous les Haïtiens. Pourtant, ankylosés dans notre incapacité à gérer ces avancées, ces choix politiques fondamentaux ont été tous des rendez-vous manqués : éducation, autosuffisance alimentaire, autonomie énergétique, maîtrise de l’eau, préservation et valorisation environnementales, bien-être social, production et redistribution des richesses… Selon le sage chinois Lao Tseu, « si vous voulez détruire un pays, inutile de lui faire une guerre sanglante qui pourrait durer des décennies et couter chère en vies humaines. Il suffit de détruire son système d’éducation et d’y généraliser la corruption. En suite, il faut attendre vingt ans et vous aurez un pays constitué d’ignorants et dirigé par des voleurs. Il vous sera très facile de les vaincre ». Le peuple souverain d’Haïti qui a milité et manifesté démocratiquement pour l’affirmation de  choix essentiels ne peut plus continuer à assumer les conséquences d’une telle désespérance. La péninsule du sud est encore une fois face à son destin. Seule.

Les péninsulaires ont milité et manifesté pour l’affirmation des choix essentiels. Les élus les ont reconnus et rendus légitimes. Englués dans notre incapacité à gérer ces avancées, nous attendons toujours leur mise en Å“uvre effective ! Parce que le statu quo a souvent brouillé les cartes, c’est au plus haut niveau de conviction que nous  lançons cet appel citoyen pour trouver aujourd’hui une réponse à une question fondamentale : quelle péninsule du sud pour demain? Comment articuler une réflexion cohérente et mobiliser des énergies disponibles pour sortir du non-développement durable.

Conclusion

Au commencement étaient le Xaragua, le Marien, le Magua, le Maguana et le Higüey. Aujourd’hui’, c’est encore des villes ou bourgs comme Léogane, Petit-Goave, Gand-Goave, Miragoane, Tiburon, La Cahouane, Abakou, Abaka, Yakimo (Aquin), des noms qui ont conservé partiellement leur toponymie taino. La péninsule du sud, c’est aussi une gastronomie singulière à base de lait de coco. Ce sont les fameuses pisquettes, les huitres, le tom-tom au calalou (gombo), les tablettes de noix de Saint-Jean du Sud, la douce « makoss Â» de Petit-Goave, la pate et gelée de goyave ainsi que les crevettes de Cavaillon, le « komparet Â» de Jérémie, l’akasan et le foskao (boisson à base de chocolat) de la plaine-du-fond des Cayes, et surtout le fameux lambi « boucané Â» de la plage de Gelée où naquit le célèbre ornithologue Jean-Jacques Audubon.

En ces temps de confusion totale, ce serait une ignominie de ne pas remonter jusqu’en 1730 au temps des premiers campements de marrons sous le leadership de Plymouth, de la Jamaïque comme Boukman, d’où la chaine de Plymouth qui porte son nom dans le Massif de la Hotte. On ne saurait oublier ceux qui sont revenus blessés de la bataille de Savannah: Benoit-Joseph-André Rigaud, des Cayes, âgé de 26 ans, Jean-Pierre Faubert, des Cayes âgé de 27 ans,  Laurent Férou, des Côteaux, âgé de 14 ans, Guillaume Bleck, de Saint-Louis-du-Sud, âgé de 34 ans, Gédéon Jourdan, du Petit-Trou de Nippes, âgé de 22 ans, un Louis-Jacques Beauvais, de Port-au-Prince, âgé de 23 ans, un Jean Piverger, d'Aquin, âgé de 31 ans, un Pierre Cangé, du Grand-Goâve, âgé de 31 ans. Ce serait une infamie de passer sous silence l’unique expérience du retour à la gouvernance africaine du royaume du Grand Doco. Sur les sommets des Platons, la rébellion des africains « esclavagisés Â» de la plaine-du-fond des Cayes et de Port-Salut, huit mois avant la cérémonie du « bwa kama ! Â» (Bois-Caïman), intronisa un roi. Blasphématoire de ne pas mentionner le nom du leader Barthélémy, représentant la péninsule du sud à cette cérémonie. Quelle infamie de ne pas citer le nom du général Dumas, né à Jérémie, qui rattacha la péninsule du sud à la révolution française. Hérétique de ne pas vénérer la mémoire de Goman et de Jean-Jacques Acaau, les deux plus grands leaders de la contestation paysanne pour un nouveau contrat social. Comment ne pas mentionner  le nom du général Magloire Ambroise qui fit bon accueil à Miranda à Jacmel ou encore le général Ignace D. Marion, qui présenta le bolivarisme sur les fonts baptismaux dans la ville des Cayes, rattachant ainsi à jamais la péninsule du  sud à l’Amérique latine. En clair, une tradition de mobilisation et d’autodétermination, une hospitalité proverbiale et une identité « xaraguéenne Â» lui conférant une singularité péninsulaire « pluriverselle Â».

Plus qu’une reconnaissance, cette prémonition doit ouvrir un droit imprescriptible à l’avenir. Mais, avant tout, cette démarche est le cri d’outre-tombe, de nos héros abandonnés, sans fleurs ni couronnes, dans les oubliettes du chauvinisme, du régionalisme et du racisme. Afin que nul ne l’ignore ou n’en prétexte l’ignorer, leurs vies auraient été de mauvais rêves si nous ne nous étions pas donnés pour mission d’accomplir ce devoir de mémoire. En écho à l’intuition qui fit germer le principe fécond de l’autodétermination des peuples, notre vision d’une péninsule prospère et respectée est solidement ancrée dans la transe du 18 novembre 1803 et dans la profondeur de la légitimité de la proclamation de l’état méridional du 3 novembre 1810. Pour déboulonner  tout ce  qui condamne la péninsule du sud au non-développement durable. A l’exigence de cette reconnaissance doit s’ajouter l’espoir. C’est là l’origine et le fondement de tout ce qui doit nous pousser à l’innovation  incontournable pour en finir avec ce qui entrave l’émergence de la péninsule du Xaragua d’ici 2030.

« Di Diable bonjou lap manje’w. Pa di’l bonjou lap manje’w Â» Il faut botter le cul au diable. Alors, comme dit le vieil adage, « un homme avertit en vaut deux ». Combien en valent  des péninsulaires avertis?

 (1) Ricardo Lambert. « Les TPTC escroqués de 150 millions Â», publié le 22 octobre 2015 sur www.lenouvelliste.com

(2) Alin Louis Hall, « Le syndrome du cerveau lent ()1 de 2 Â», publié le 21 mars 2016  sur www.lenouvelliste.com

(3) FACOLEF : Fabrique de Conserve de Légumes et de Fruits. Le 11 février 1984, cette usine de transformation de produits agricoles partait en flammes, portant un rude coup à des centaines d'ouvriers et de paysans de la région de Cavaillon.

(4)  Bob Bryan, « If the US took a hurricane hit like Haiti, it would cost almost $2 trillion», publié le 7 octobre 2016 http://www.businessinsider.com/haiti-hurricane-matthew-economic-impact-2016-10

(5) Alin Louis Hall, « Une zone économique spéciale pour la péninsule du sud Â», publié le 17 juin 2013

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