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Politisation de la PNH : Mise en garde au DG Godson Aurelus par les organisations POHDH, CE-JILAP,RNDDH

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 Port-au-Prince, le 25 novembre 2013

Monsieur Godson Orelus

Directeur Général de la PNH
En ses Bureaux.-

 Monsieur le Directeur Général,

 La Plateforme des Organisations Haïtiennes de Droits Humains (POHDH), la Commission Episcopale Justice et Paix (CE-JILAP) et le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH), croient opportun d'attirer votre plus haute attention sur des faits relatifs au comportement des agents de la Police Nationale d'Haïti (PNH), qui, depuis quelque temps, interviennent en dehors des règles établies et mettent en péril des acquis démocratiques chers au Peuple haïtien.

 En effet, instituée pour la défense et la protection des droits et libertés, pour le maintien de l’ordre, de la paix et de la tranquillité, pour la protection, la sécurité des vies et des biens et pour la garantie de la sureté des institutions, la PNH est légalement apolitique. L’article 8 de la Loi portant Création, Organisation et Fonctionnement de la PNH dispose en ce sens que : Â«Les fonctionnaires de Police sont essentiellement apolitiques et soumis aux ordres des autorités de Police prévues par la loi. Ils sont tenus, sous peine de sanctions, de déférer avec promptitude toute réquisition légale de ces autorités ainsi que des autorités administratives et judiciaires locales.»

 Or, plusieurs actes reprochés à la PNH, démontrent que l’institution que vous dirigez est résolument lancée sur la pente dangereuse de la politique et des actes arbitraires.

 La POHDH, la CE-JILAP et le RNDDH en veulent pour preuve, la liste suivante, non exhaustive des actes arbitraires perpétrés par des agents de la PNH, ce, depuis 2012, année qui correspond malencontreusement à votre accession à la tête de l'institution policière:

  • Le 1er octobre 2012, à Port-au-Prince, dans le département de l'Ouest, plusieurs individus, ont pris part à une manifestation orchestrée par le Président de la République Michel Joseph Martelly contre la promesse de mille (1000) gourdes. Arrivés devant le Palais National où la manifestation a pris fin, ils ont organisé un sit-in pour réclamer leur dû. Des agents de la PNH sont intervenus rageusement et les ont bombardés de gaz lacrymogène.
  • Le 30 novembre 2012, lors d'une manifestation réalisée par des individus qui réclamaient la continuation des travaux de construction du tronçon de route reliant Cayes à Jérémie, des agents de la PNH sont intervenus brutalement en tirant à hauteur d'hommes et en lançant des tubes de gaz lacrymogène. Wilber Bien-Aimé est tué par balles.
  • Le 16 juillet 2013, à l’Estère, dans le département de l'Artibonite, une manifestation pacifique est réalisée par la population pour protester contre la mort suspecte du Juge Jean Serge Joseph. La PNH est intervenue avec brutalité. Le bilan est lourd :

Une personne est décédée. Il s'agit de Rolcy Amétus. Plusieurs autres personnes sont gravement blessées dont Robenson Conserve, Marcel Joseph, Clerson Cenoble et Ti Blanc ainsi connu. Des riverains, dont au moins quinze (15) enfants en bas âge ont été indisposés par la profusion de gaz lacrymogène, lancé par les agents de la PNH et ont été admis à l'Hôpital de l'Estère.

  • Le 13 septembre 2013, suite à l'arrestation de Evinx Daniel, un trafiquant de drogues présumé qui vit dans le département du Sud, le porte-parole adjoint de la Police Nationale d'Haïti (PNH), l'Inspecteur Garry Desrosiers, a donné une conférence de presse en vue de féliciter Evinx Daniel d'avoir rendu un service à la communauté haïtienne, en rapportant une cargaison de drogue trouvée sur la mer et de signaler que la PNH n'a rien à reprocher à ce dernier. Au contraire, il en a profité pour s'excuser auprès de Evinx Daniel, affirmant que la PNH n'est aucunement impliquée dans cette arrestation. Il convient de souligner que cette intervention a été faite par la PNH après le transfert du dossier au Cabinet d'Instruction.
  • Le 30 septembre 2013, les agents de la PNH sont intervenus brutalement pour disperser une manifestation antigouvernementale qui se tenait à Port-au-Prince pour commémorer l'anniversaire du coup d'état sanglant de 1991.
  • Le 1er octobre 2013, deux (2) policiers attachés à la sécurité du Président de la République savoir Denis Edouard et Jonathan Nestor, ont frappé le Journaliste Rodrigue Lalane de Radio Télévision Kiskeya, alors que ce dernier était dans l’exercice de ses fonctions. Le dossier a été transféré au Cabinet du Juge d'Instruction Jean Wilner Morin. Des mandats d’amener ont été émis contre ces policiers. Cependant, la PNH refuse d’exécuter lesdits mandats en violation de l’article 7 alinéa 11 de la Loi portant Création, Organisation et Fonctionnement de la PNH qui stipule Â« La Police Nationale est instituée en auxiliaire des Pouvoirs Publics en vue de maintenir l'ordre en général et de prêter force à l'exécution de la Loi et des Règlements. Elle a pour mission de : ... 4.- Prévenir les infractions et rechercher activement les auteurs pour les traduire devant les juridictions compétentes dans le délai fixé par la loi; 6.- Exécuter les arrestations dans tous les cas prévus par la loi, ... Â» ;

  • Le 22 octobre 2013, sur ordre du Commissaire du Gouvernement de Port-au-Prince, Me Francisco René, la PNH a procédé, à 9 heures 30 du soir, à l’arrestation de Me André Michel, à Martissant, dans le département de l'Ouest au motif de refus d’obtempérer aux ordres de l’autorité policière.

Cette infraction n’existant pas et tenant compte de l’heure à laquelle l'arrestation a été opérée, il est clair que la Police a obtempéré à un ordre manifestement illégal. Cet acte arbitraire de la PNH a soulevé la colère et l’indignation de la population, le mécontentement des hommes de loi au point qu’un arrêt de travail est observé depuis par le Barreau de Port-au-Prince, bloquant ainsi le système judiciaire dans la juridiction du Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince, avec des conséquences imprévisibles sur la prison et sur les garde-à-vue.

  • Le 25 octobre 2013, en solidarité au Journaliste Jean Monard Métélus, plusieurs individus ont réalisé un sit-in devant les locaux de la Radio Télévision Caraïbes. Des agents de la PNH qui se trouvaient sur les lieux ont décidé brusquement de lancer du gaz lacrymogène, suite aux propos hostiles prononcés par les manifestants à l'encontre des autorités étatiques actuelles.
  • Le 18 novembre 2013, au Cap-Haitien, dans le département du Nord, la PNH a tué dans l’œuf une manifestation de l’opposition sous prétexte qu’elle ne disposait pas d’effectif pour sécuriser la manifestation. Pourtant une contre-manifestation organisée le même jour par l'Exécutif a été sécurisée. Or, suivant un arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme du 21 juin 1988 dans l’affaire Plattform "ärzte für das Leben", «Dans une démocratie, le droit de contre-manifester ne saurait aller jusqu'à paralyser l’exercice effectif du droit de manifester.»

L’intervention brutale de la Police pour empêcher la manifestation de l’opposition a fait plusieurs blessés par balles. Des enfants en bas âge ont été admis à l’hôpital après avoir inhalé du gaz lacrymogène, tiré à profusion par la PNH.

 

 Par ailleurs, dans la soirée du 18 novembre 2013, la PNH a procédé au Cap-Haïtien, à l’arrestation de plusieurs opposants au pouvoir pour trouble à l'ordre public, destruction de pont et jets de pierre et de bouteilles. Ces personnes se trouvaient pour la plupart dans les rues du Cap-Haïtien. D'autres ont été expressément contraintes de rentrer chez elles. Ceci a aussi été constaté à Delmas où des agents de la PNH ont intimé l'ordre aux personnes rencontrées dans la rue, de rentrer chez elles, sous peine d'être arrêtées.

  • A Jacmel, dans le département du Sud-est, un mouvement de protestation a été organisé les 18, 19 et 20 novembre 2013 par des individus qui dénonçaient la libération de quatre (4) présumés kidnappeurs, savoir, Ludmilla Occident, Aliana Noncent, Pierre Donald et Saintus Philippe. Des agents de la PNH sont intervenus brutalement et ont encore une fois fait un usage abusif de gaz lacrymogène.

Monsieur le Directeur Général,

 La POHDH, la CE-JILAP et le RNDDH sont offusqués par la brutalité des interventions de la PNH contre les étudiants des différentes facultés de l'Université d'Etat d'Haïti (UEH). Des bonbonnes ainsi que des grenades de gaz lacrymogène sont lancés dans l'enceinte des facultés de l'UEH pour empêcher aux étudiants de s'adonner à des actions de protestation et de revendications estudiantines.

Cette systématisation des attaques perpétrées contre les étudiants et les facultés de l'UEH a débouché sur la blessure suivie d'une infirmité permanente d'au moins un (1) étudiant. En effet, le 18 novembre 2013, tôt dans la matinée, des étudiants manifestaient dans l'enceinte et aux abords de la Faculté d'Ethnologie, à Port-au-Prince lorsque des agents de la PNH se sont mis à bombarder ladite faculté de bonbonnes de gaz lacrymogène. Face à la persévérance des étudiants, vers quatre (4) heures de l'après-midi, les agents de la PNH ont lancé une grenade lacrymogène et, Ronel Désir alias Jacky, étudiant en deuxième année en Sciences Sociales à l'Ecole Normale Supérieure a perdu sa main droite.

 Monsieur le Directeur Général,

L'institution policière, en plus de s'adonner à des interventions arbitraires, verse aussi, lorsque cela lui semble nécessaire - ou lorsqu'elle en reçoit l'ordre - dans l'inertie et la passivité. A titre d'exemples :

 Vers la fin de l'année 2012, des pluies diluviennes se sont abattues sur plusieurs départements géographiques du pays, provoquant d'importantes inondations et faisant plusieurs victimes. Dans un élan de solidarité, des membres de l'opposition ont collecté des produits de première nécessité pour distribuer aux victimes recensées dans le département du Nord. En dépit du fait qu'ils aient été sollicités, en date du 17 novembre 2012, les agents de la PNH ont délibérément choisi de ne pas sécuriser le convoi. Conséquemment, des actes de pillage ont été constatés et, au moins deux (2) personnes, Josette Fénélon et Dieufort Monfiston ont perdu la vie.

 De plus, lors de certaines manifestations antigouvernementales enregistrées dans le pays, des groupes d'individus se réclamant proches du Gouvernement attaquent les opposants, à coups de pierre et de bouteille, ce, sous le regard passif des agents de la PNH. Ceci a été constaté notamment le 18 novembre 2013 à Pétion-ville et au Cap-Haïtien.

 Monsieur le Directeur Général,

 La POHDH, la CE-JILAP et le RNDDH sont scandalisés par la tendance qui porte à croire que la PNH doit donner son accord pour la tenue d'une manifestation sur la voie publique. En ce sens, il convient de vous signaler que la Constitution précise en son article 31.2 que «Les réunions sur la voie publique sont sujettes à notification préalable aux autorités de police». Il est donc clair que l'obligation de notification qui incombe aux initiateurs d'une manifestation n'est en rien comparable à une demande d'autorisation. Elle répond tout simplement à une nécessité qui vise à aider les agents de la Force Publique dans leur tâche qui consiste notamment à protéger et à sécuriser les vies et les biens.

De plus, l'article 31 de la Constitution dispose que «La liberté d'Association et de Réunion sans armes à des fins politiques, économiques, sociales, culturelles ou à toutes autres fins pacifiques, est garantie». Cette liberté se traduit par la formation de groupes momentanés dans des activités de rassemblement et de manifestation. Elle est, de l’avis général, un élément essentiel de la vie politique et sociale d’un pays. Il n’appartient pas à la Police de brimer ce droit fondamental qu’il convient plutôt de protéger.

 Conséquemment, la POHDH, la CE-JILAP et le RNDDH condamnent avec la dernière rigueur l’usage abusif par la PNH de gaz lacrymogène indisposant des mineurs, des marchands ambulants, des passants, des patients hospitalisés et empêchant la population de jouir du droit à la liberté de réunion, d'association et de manifestations pacifiques.

 Monsieur le Directeur Général,

 La POHDH, la CE-JILAP et le RNDDH espèrent que les cas ci-mentionnés vous convaincront de l'urgence d'une intervention pour stopper ces dérives de la PNH et de la nécessité absolue pour l'institution policière de se garder de toute prise de position partisane, de se ressaisir et d’éviter d’exposer dangereusement l’avenir de cette institution chargée de garantir l’ordre républicain dans le respect strict des lois et de la Constitution du pays.

La POHDH, la CE-JILAP et le RNDDH vous transmettent, Monsieur le Directeur Général, leurs sentiments patriotiques.

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