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La Calamité Rose : Ayiti-Exit - la nécessité d’arrêter la Caravane du Faire Semblant (1 de 9)

caricature-jovenel-dialogue farine bannanePar Alin Louis Hall --- Ils ne sont pas nombreux ceux qui avaient anticipé que la « calamité rose Â» serait la 11e plaie d’Egypte. Malgré les milliards de « petrocaribe Â», l’inexistence de politiques et catalyseurs macro-économiques a rendu la première expérience de décolonisation plus vulnérable aux chocs internes et externes. La débâcle est totale. S’ils veulent sortir du trou qu’ils ne cessent de creuser, les Haïtiens doivent apprendre à réfléchir. Comment s’en sortir sans une Banque centrale indépendante, un ciblage de l'inflation, une règle fiscale d’équilibre structurel et le contrôle de la dette publique rapporté au PIB ? Nous ne pouvons plus remettre à demain une critique sérieuse de nos égarements et délires qui soutiennent que toute analyse critique relève du dénigrement. 

En réalité, le verrouillage du cerveau haïtien constitue le vrai blocage. La nuit qui s’est installée dans les consciences publiques promeut le « tout voum se do » (tout se vaut) et encourage les petits enfants de la brutale transplantation à adopter de fausses valeurs. Si notre capacité à rationaliser l’absurde n’est plus à démontrer, nous devons au moins avoir le courage de regarder l’image de nous-mêmes que nous renvoie le miroir. Cette image, c’est la somme de toutes les pénuries, de la saleté, de la malnutrition, de la famine, du chômage, des maladies, des boat-people, des gangs, de l’insécurité, de l’analphabétisme, de l’incivisme, de l’illettrisme, de l’inculture, etc... Dans tous les domaines, la postcolonie est en faillite. Le culturalisme aveugle de l’école des malheurs des Griots a plutôt produit de la chair humaine pour les dents des requins en haute mer. Les lwas sont partis aller chercher de quoi se nourrir, s’éduquer, s’habiller et se soigner sous la neige à Montréal et à New-York. 

En panne d’inspiration, la société coloniale sans sanction s’est confortablement enlisée dans la crasse en croyant remédier à un état permanent de déréliction avec le faire semblant. Comme un boomerang, l’exemple le plus ahurissant revient chaque année. En raison des modifications de décalage horaire lors des basculements à l'heure d'été/d'hiver, Haïti se retrouve dans le fuseau horaire UTC/GMT-5 en hiver et UTC/GMT-4 en été. Alors, au début du mois de mars, le même arrêté présidentiel sur l’heure nationale est reconduit avec les mêmes dispositions. Si le passage à l'heure d'été est intéressant pour les pays de la zone tempérée qui se trouvent sur les latitudes élevées, c’est en raison d'importantes économies d'énergie que cette heure Â« gagnée Â» permet à ces pays de réaliser. On se le rappelle que l’une des dernières fantaisies du régime du minuit éternel des Duvalier a été justement ce changement d'heure. Evidemment, pour exprimer le temps, la ponctualité, la durée, le délai et le retard nous paraissent fondamentaux. Alors que ces notions n’arrivent pas à imprégner la société haïtienne, dès la sortie du communiqué les Haïtiens s’empressent d’ajuster leurs montres, horloges et réveille-matins avec un naturel déroutant. Alors comment expliquer cette frénésie au pays du minuit éternel ? 

A bien observer la société haïtienne, on se rend compte que le temps n’est ni linéaire ni continu. Effectivement, tout se passe comme s’il existait une ligne de démarcation visible à partir de la lune entre les origines des évènements et leurs conséquences. Si le principe de causalité affirme que l'effet ne peut précéder la cause, la notion du temps n’est pas perçue dans l'ordre de l'enchaînement des causes et des effets. En Haïti, la vie s’organise autour de la récurrence et de la circularité des mêmes évènements : le départ volontaire, la mort, le mal et la persécution. Aussi, pour tuer le temps, la culture du simulacre régit-elle l’ordonnancement de tout ce qui bouge et respire. On pourrait illustrer ce phénomène avec les états généraux sectoriels qui auraient couté la bagatelle de 47 millions de gourdes et traineraient 5 mois d’arriérés de salaires pour les 21 employés de cette structure. Et comme le ridicule ne tue pas, un comité de facilitation du dialogue interhaitien a été récemment créé pour donner des résultats là où les états généraux sectoriels ont échoué. Cette cohabitation de ces deux nouvelles entités ayant la même mission n’est pas aléatoire puisque, selon le journaliste Robenson Geffrard, le nombre de commissions créées en deux ans par le « bonhomme-banane Â» serait au nombre de 14[1]

On savait que les Haïtiens avaient bâti une solide réputation de ne jamais perdre la face. Cependant, ce n’est tellement la création de cet énième comité qui pose un problème. Qu’on ait pu trouver des membres à accepter de fonctionner avec leurs propres moyens est particulièrement troublant. Comme l’affirme Robenson Geffrard, « Pas une gourde n’a été mise à la disposition du Comité de facilitation du dialogue interhaïtien plus d’un mois après sa création par le chef de l’État[2]. Â»  En clair, le faire semblant n’est pas un phénomène qu’on peut facilement appréhender. Pour les thuriféraires de l’absurde, rien ne doit être négligé pour montrer aux pays amis que le dialogue est mis en orbite. Dans certains cas, le faire semblant renvoie à une subalternité internalisée ou à une infériorité assumée. Sous l’emprise d’une psychologie tordue, la société haïtienne a donc façonné une culture du simulacre et a ainsi créé une identité périssable. On tentera ici un examen critique de la prévalence de ce phénomène sociétal en remontant à sa genèse et en portant le doute sur la capacité des Haïtiens à concilier leur bovarysme culturel et leur névrose narcissique. Incapables de se départager entre le singulier et l’universel, ces derniers ne trouvent repréhensible que la décolonisation d’Haïti soit un mythe et que sa liberté soit une illusion. Une psychopathologie paralysante retient les petits enfants de la brutale transplantation dans une totale incapacité à se défaire de la surdétermination géopolitique. 

De la libération culturelle et politique de l’Haïtien, il n’a jamais été question. Même quand ce n’est pas notre souci principal dans cet article, il importe de s’attarder un peu sur la prévalence de ce conditionnement mental. Par exemple, un signataire de l’Acte de l’indépendance comme Alexandre Pétion agita de son propre gré l’idée d’indemniser les colons. De ce point de vue, il y a lieu de reconnaitre que la mutation indépendantiste n’a pas jusqu’à présent mis fin aux rapports de domination. En tout état de cause, nullement inquiets ni inquiétés, les dépositaires du cordon sanitaire continuent d’imprimer la trajectoire de la postcolonie. Au risque de nous répéter, la subalternité intériorisée a des origines profondes et nombreuses et des conséquences malheureuses. On se le rappelle qu’au service de l’Empire, le général Dumas avait connu la gloire pour ne pas voir sa pension liquidée sur ordre de Napoléon. Comme André Rigaud, on peut tomber de la balançoire de l’histoire au service de la France républicaine tout comme on peut mourir de contrition comme Toussaint Louverture au Fort de Joux. 

Sans répit, une pédagogie de la fatalité continue religieusement de distiller au compte-goutte dans les consciences publiques que notre destin était d’éclore comme la rose pour faner. Nous revenons ici sur la panne d’inspiration et pointons du doigt ce consensus bancal au sein de la société haïtienne. Incapable de se réinventer, cette dernière s’est donc tournée vers la reproduction de la facilité et le faire semblant. On s’explique ainsi ce raffinement de la spéculation qui encourage la déconnexion d'avec l'économie réelle au détriment de la production. Au lieu de soulever des critiques sur les sources d’enrichissement sans cause, la société haïtienne assure plutôt la promotion et la dissémination des jeux de hasard comme la « borlette Â» et la « gaguère Â». Dès l’enfance, l'interprétation des rêves est religieusement enseignée. On comprend pourquoi les omniprésentes « banques de borlette Â» qui jalonnent même nos sentiers les plus étroits ne subissent jamais la colère des « déchoukaj Â». En réalité, l’inclusion financière et la circulation monétaire relèvent de cette pseudo-industrie qui carbure à la pensée magico-religieuse. Pour la quasi-totalité des Haïtiens, seul le sacré peut permettre d’échapper à la réalité insoutenable. 

C’est notre point de vue que tout se passe comme si les Haïtiens utilisaient une fatalité assumée comme un vase communiquant et endossaient leur subjugation par les incantations, le rite magique et la prière. On s’explique ainsi que la pensée magico-religieuse et la pratique sectaro-sorcellaire remplissent une fonction homéostatique. Dans un enchevêtrement de mondes parallèles et superposés les uns par rapport aux autres, l’ordre magico-religieux mène à une altérité absolue où il n’y a plus de rôle à jouer ni de responsabilité à assumer. Le moins qu’on puisse ajouter est que les Haïtiens font de leur mieux pour éviter la temporalité productrice. Aussi, le rituel et le ciel occupent-ils des dimensions asymétriques par rapport au réel et accompagnent les petits enfants de la brutale transplantation dans leur plongeon dans l’imaginaire. Cet aspect représente l’un des rares consensus dans une société endormie dans l’espérance de la résurrection en paradis comme à Allada. Comme l’anthropologue Francis Affergan le suggère, « Le sacré est le seul espace privé de dimension mesurable où l’homme doublement dominé peut s’épanouir, hors de soi, sans repères. Repaires sans repères, le sacré marque la fin de la lutte contre la domination et stigmatise non pas la venue d’un autre monde mais son existence contemporaine et simultanée[3]. Â» 

Singulier petit pays ! Haïti continue de payer au prix fort les rendez-vous manqués et les ratages programmés comme, entre autres, le mauvais tournant de 1957. Que Jacques Stephen Alexis ait été arrêté, torturé et assassiné en avril 1961 sous le régime de François Duvalier restera un sujet à méditer. On pourrait en dire autant pour les idées de Price-Mars perverties par l’école ethnologique des Griots. En ce sens, rien de plus cocasse que la réalité discursive « noiriste Â» ou « mulâtriste Â» dans un pays de noirs. La touche charlatanesque des dépositaires de la zombification des masses a donc vidé de toute sa substance le concept de négritude à vocation universelle. Au colonialisme et à la domination occidentale, la bande à François Duvalier a pédagogiquement opposé un culturalisme falsifié. On en veut pour preuve la facilité avec laquelle cette école de malheurs a pu faire valoir que la victoire du 18 novembre 1803 était providentielle. Dans leur entendement, les dieux tutélaires auraient été plus déterminants que ceux qui « riaient la mort Â» et qui avaient juré de vivre libres ou mourir. Cette vision réductrice a fait école au point où les Haïtiens croient que la victoire du 18 novembre 1803 sur les forces du mal n’a rien à voir avec l’hécatombe que fit la fièvre jaune dans les rangs ennemis, l’efficacité du blocus naval anglais et encore moins le support américain. Pour entraver l’expansion de l’empire napoléonien, Jefferson affama Rochambeau. 

Evidemment, le fondamental de la culture du simulacre et du faire semblant n’enseigne qu’à ne rester à la surface des choses. Cet article en 9 parties se veut donc un raccourci sur la genèse et la problématique du faire semblant et de la carnavalisation de la société haïtienne qui en découle. Notre analyse ambitionne de proposer de nouveaux sentiers et tente d’expliquer pourquoi notre fibre existentielle est alimentée par le « faire semblant ». En effet, dans le modèle haïtien ludo-culturel et relationnel de convivialité excessive, tout y a passé. C’est-à-dire, qu’un tailleur de formation comme Jean-Pierre Boyer ait pu diriger Haïti pendant vingt-cinq ans dépasse l’entendement. Si l’absolutisme loufoque et lourd de ce dernier fut reconduit par les gouvernements de Soulouque et de Salomon, il a fallu attendre le mauvais tournant de 1957 pour voir le folklorisme politique, stade suprême du faire semblant, devenir une politique publique. En tout état de cause, on ne saurait oublier la voix nasillarde prononcée de « Papa Doc » en mode « Papa Baron Â» s’exclamer : « Je suis un être immatériel Â». On se rappelle que, pour taire les rumeurs d’impotence sexuelle, ce dernier se devait de déclarer à un journaliste : « mandé Simone si’m pa kon fè’l renni Â». 

La mystification allait continuer avec la présentation du caricatural leader de 19 ans qu’il avait promis. En effet, quand il fallait présenter sous les fonts baptismaux le volet héréditaire de la présidence à vie ou « aviation Â» pour parler comme les « volontaires de la servitude nihiliste Â» (VSN), cette hégémonie sans partage n’a été d’aucune ambiguïté. Comme dans un récit de film d’horreurs, des histoires macabres et troublantes ont été les moments forts de cette dystopie qui favorisa l’émergence de personnages insolites aux intentions malsaines. Certains d’entre eux ont ruiné la vie de milliers d’Haïtiens. D’autres ont affecté celle de millions d’autres. Pourtant, au départ des Duvalier, ceux qui avaient pu fuir ce régime liberticide ont été grugés par des politiciens sans scrupules ni état d’âme. On se rappelle que, pour mobiliser des fonds pendant les premiers 5 mois de la présidence Aristide, les expatriés avaient spontanément monté une organisation du nom de VOAM[4] après le départ des Duvalier. Sur ce cas avéré de détournement, les rumeurs les plus farfelues continuent d’alimenter toutes les spéculations. On pourrait en dire autant sur la controverse autour de cette ténébreuse affaire de coopératives. 

Que des malades mentaux, des fous, des guignols, des sociopathes, des excentriques et des dévergondés continuent à jouir d’une popularité est particulièrement troublant ! Que des marginaux après avoir répandu des idées aussi farfelues telles que « lavalas Â» ou aussi saugrenues que « tèt kalé Â» jouissent encore d’une respectabilité, cela relève de la mythologie ou de la science-fiction. Le folklorisme politique renvoie au peuple ses propres humeurs. On s’explique ainsi qu’une coterie chasse l’autre. En Haïti, l’inamovibilité du statu quo peut toujours compter sur les bons et loyaux services des coalitions réactionnaires qui poussent comme des champignons. En atteste, sur les réseaux sociaux, l’existence de communautés virtuelles, de mondes imaginaires et d’univers imaginés où le surréalisme, le merveilleux et l'utopie alimentent le faire semblant. Suivant ce cheminement, il convient donc de reconnaitre que les cas psychiatriques sont généralement complexes à appréhender. Aussi, s’avère-t-il important de tourner les feux de la rampe sur ces gens abominables, ces boucaniers, ces flibustiers, ces pirates et mercenaires et ces contrebandiers de l’espoir. Comme une main invisible, ils ont arrangé une mécanique bien huilée pour régir l’ordonnancement d’une société en panne d’inspiration. 

On savait que les Haïtiens ne reculaient devant absolument rien pour maintenir leur statut et leur place dans l’ordre social. Cette motivation essentielle s’illustre aisément par le couronnement d’Evans « Kompè Plim Â» Paul comme premier ministre d’un régime représentant tout ce qu’il avait combattu pendant sa longue carrière politique. A la vérité, depuis le tournant fatidique de 1957, les folkloriques n’ont pas chômé. Malgré la paix des cimetières et l’ordre par la terreur, la négritude cosmétique duvaliérienne n’a pas pu accélérer la croissance économique en trois décennies. La « transition qui n’en finit pas Â», selon le mot de Pierre-Raymond Dumas, n’a pas non plus fait mieux en 30 ans. Néanmoins, si le bilan est mièvre, certains évènements et faits relèvant de l’imaginaire, des circonstances particulières, des faits sociaux et économiques aléatoires allaient imposer la soulouquerie rose avec la bande des « tèt kalé Â». 

Bien entendu, Haïti ne rate jamais une bonne occasion d’étonner le monde. Afin d’assurer une brillante postérité au modèle expérimental de démocratie ludo-culturelle, la carnavalisation permanente d’Haïti a donc été confiée au roi du carnaval. Pour une si délicate mission, les commanditaires de notre surdétermination allaient enrégimenter celui qui ne saurait jamais reconsidérer sa subalternité. Aussi, pour parachever la décérébration de la jeunesse, l’empire a-t-il jeté son dévolu sur un personnage éminemment folklorique qui était devenu extrêmement populaire en s’interposant comme le dépositaire de la trivialité. Alors, devant les défis que présentaient la reconstruction après le tremblement de terre du 12 janvier 2010, les Haïtiens ont accepté que les rennes du pays soient confiés à un dévergondé. Pour continuer avec les pratiques du pire, un sociopathe a été imposé au plus haut sommet décisionnel pour renforcer l’incivisme et consolider l’inculture. Et c’est très grave que nos outils et référentiels créoles comme bossales se soient tus dans une totale incapacité à anticiper ce carnaval meurtrier. L’illusion des sens a encore eu raison des petits enfants de la révolution haïtienne.

Alin Louis Hall
Caricature: Desroches Castro

[1] Robenson Geffrard, « Jovenel Moïse, deux ans au pouvoir, plus de 14 commissions créées… Â», publié le 13 mars, Le Nouvelliste, https://lenouvelliste.com/article/199089/jovenel-moise-deux-ans-au-pouvoir-plus-de-14-commissions-creees

[2] Robenson Geffrard, « Privé de moyens, le Comité de facilitation du dialogue interhaïtien peine à faire son travail Â», publié le 13 mars, Le Nouvelliste, https://lenouvelliste.com/article/200150/prive-de-moyens-le-comite-de-facilitation-du-dialogue-interhaitien-peine-a-faire-son-travail

[3] Francis Affergan, « Ã‰LÉMENTS POUR UNE ANTHROPOLOGIE DU MAGICO-RELIGIEUX A LA MARTINIQUE. Â» Cahiers Internationaux De Sociologie, vol. 87, 1989, pp. 265–281.

[4] VOAM est l'acronyme de ce slogan en créole qui signifie « Soutenir Haïti qui se développe ». 

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