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La prison des femmes à Pétion-Ville, une Haïti qui crie justice

prison-femme-petion-villeRue Pinchinnat, Route de Kenscoff, Place Saint- Pierre. Nous sommes à Pétion-Ville, le quartier chic de Port-au-Prince. La circulation est fluide en cette matinée. La place St. Pierre est déserte, sauf des vendeurs ambulants s'y prélassent en quête de clientèle.

Fort de son statut de citoyen libre, l'usager de la voie publique ne sait rien du drame qui se joue derrière ces murs de la prison des femmes. Deux files, essentiellement composées de femmes, attendent que le grand portail bleu s'ouvre pour les laisser entrer dans l'enceinte de la prison. A droite, d'autres se bousculent pour passer des colis à des gardes assis derrière une petite lucarne. « Ce sont les parents des détenues, c'est bientôt l'heure de la visite », souffle Flora Dipama Pegdewnde Cécile, officier correctionnel à la MINUSTAH. Dans cette prison, deux visites sont permises par semaine, le mardi et le vendredi.

Dans le calme, les visiteurs se suivent et se croisent dans cette cour en « L ». Sous la supervision des geôliers, chaque détenue converse avec ses proches à travers les barreaux. L'ambiance est détendue. Des prisonnières discutent avec le personnel pénitencier, certaines se permettent des tapes amicales. « Les femmes sont calmes. Elles sont gentilles et ne sont pas aussi dangereuses que les hommes », s'en félicite la commissaire de police Marie-Yolette Mathieu, la chef des opérations.

Cette commissaire qui travaille depuis six ans à la prison des femmes connait les vrais problèmes de l'établissement. « La MINUSTAH a doté la prison de bâtiments mais si elle pouvait faire davantage en construisant un autre dortoir, nous pourrions y relocaliser une partie des prisonnières », sollicite-t-elle. Le manque d'espace est un grand problème. Une cellule a été improvisée dans une salle de bain, les matelas roulés pendant la journée dans les douches. Une autre a pris la place de la salle des rencontres, reconstruite récemment à l'avant de la prison par la mission onusienne.

Au 20 novembre passé, on recensait 267 prisonnières dans cet établissement construit à l'origine pour 50 détenues. Le 21 novembre, la prison accueillait une 268e détenue, Elia, transférée d'une prison de province.

Détenues provisoires, à chacune son cas

En cette heure de recréation, on peut croiser plusieurs prisonnières en détention provisoire. Chacune y va de son récit pour dire sa désolation. Alouta, 65 ans, venue de la commune de Martissant est accusée de kidnapping. Mère de sept enfants, elle n'a jamais entendu parler ni de juge, ni d'avocat depuis les sept mois qu'a duré sa détention. Pire, Jany 32ans, accusée de meurtre, et Rose, mère de huit enfants, accusée de kidnapping attendent de rencontrer le juge depuis six ans pour la première, six ans et cinq mois pour la seconde.

Ces deux femmes font partie d'un groupe de 49 détenues qui totalisent « au moins quatre ans » d'attente de jugement comme le reconnait avec indignation un officier correctionnel de la mission onusienne. L'une d'elle détient le triste record de détention provisoire puisqu'elle est pensionnaire depuis 2004 !

L'exception érigée en règle

Elia, arrivée de province, est accusée de meurtre et d'incendie. Au regard de la gravité de son acte, elle est détenue en attendant son procès. Cependant, cette attente prolongée dure depuis trois ans et n'a pas de fondements juridiques car elle n'a pas encore été jugée.

Son droit à un procès dans un délai raisonnable comme l'exige la Convention américaine relative au droit humain est violé. Plus préoccupant est le cas de ces femmes accusées de vol, qui attendent un jugement depuis bien plus longtemps que la peine maximale à laquelle elles auraient pu être condamnées si elles avaient été reconnues coupables.

Elia et ses huit camarades de cellule attendent d'être jugées. Et la situation semble similaires dans toute les cellules puisque sur 268 détenues seulement 46 soit 17% ont effectivement étés condamnées. La détention provisoire qui est une mesure exceptionnelle devient ainsi la règle dans cette prison.

La détention provisoire détériore les conditions de détention

Dans cette pièce de 12m 2 où vit Elia la nouvelle-venue et ses huit codétenues, trois lits sont disposés dans les coins. Pendant la journée, les détenues les utilisent pour s'assoir. Le soir, elles les utilisent à tour de rôle pour dormir. Ont droit à un lit individuel Woodlyne, la jeune détenue qui a accouché en prison il y a deux mois et Fleurette la condamnée à perpétuité. Les autres détenues lorsqu'elles ne peuvent utiliser le lit, se contentent d'un tapis à même le sol.

Or, chaque détenue n'a droit qu'à 90cm2 d'espace. Ce chiffre est de loin inférieur aux 7 m2 recommandé par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Il est aussi inferieur aux 3,4m2 par personne défendus par le Comité International de la Croix rouge. 90 cm2 comme cadre de vie d'un prisonnier sont davantage inférieur aux 2,5m2 qui correspond aux prévisions de la Direction de l'Administration pénitentiaire (DAP).

Ainsi les prisonnières de Pétion-Ville sont détenues dans des conditions contraires à l'esprit de la Constitution haïtienne de 1987. L'article 44 de la loi fondamentale d'Haïti dit en effet que « le régime des prisons doit répondre aux normes attachées au respect de la dignité humaine selon la loi sur la matière ».

A ce manque de place s'ajoute des problèmes d'alimentation, de santé, d'hygiène. Comme le souligne tristement cette dame de 40 ans venue visiter sa cousine : « On jette des gens en prison sans se soucier de ce qu'ils deviennent».

Antoine Adoum Goulgué
Source: Le Matin

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